« On ne naît pas femme, on le devient » écrivait Simone de Beauvoir. De la même manière peut-être ne naît-on pas féministe ; ce sont les circonstances de la vie qui amènent à ce type d'engagement. Mais une fois qu'une femme a commencé à militer, difficile pour elle de s'arrêter.

Françoise Soulimant a rencontré les mouvements féministes en Angleterre juste après le printemps mouvementé de 1968. Bien des années plus tard son engagement a pris de nombreux chemins – l'éducation, la défense de la laïcité entre autres - mais reste toujours centré sur une priorité : l'égalité des femmes et des hommes.

 

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« Je suis de la génération de mai 68 – dit d'emblée Françoise Soulimant – j'étais engagée à l'extrême gauche et j'étais étudiante en anglais. » Plus tard elle dira dans un rire : « j'étais trotskiste, on l'était tous à l'époque ! Mais c'était une bonne école de formation, ça m'a beaucoup marquée ! » Son engagement politique s'arrêtera là. Viennent ensuite de nombreuses années – qui durent encore – d'engagement citoyen. « Je n'ai jamais été encartée, je ne suis dans aucun parti » dit-elle encore mais quand elle veut énumérer toutes les causes de son militantisme actif, elle en oublie tant cette femme est depuis plus de 40 ans sur tous les fronts.

L'avortement d'abord

Au début des années 70, après des études à l'Université de Rennes, la jeune femme originaire des Côtes-d'Armor part en Angleterre pour parfaire sa formation et revient enseigner en région parisienne. Outre-Manche, elle a fait la connaissance des femmes du Women's Lib et rentre en France bien décidée à s'engager elle aussi pour défendre les droits des femmes. « J'ai été nommée à Versailles – raconte l'enseignante aujourd'hui en retraite – et je suis arrivée en 1972 au moment du procès de Bobigny ». Elle rejoint alors l'association Choisir aux côtés de Gisèle Halimi et devient rapidement membre du bureau national.

procesbobigny« Le droit à l'avortement était l'essentiel de notre militantisme – explique-t-elle – parce que c'était une situation criante ; des centaines de milliers de femmes avaient recours à l'avortement alors que c'était encore illégal en France et il y avait beaucoup de décès. On essayait de prendre en charge la question matérielle pour les femmes qui devaient aller à l'étranger et surtout on faisait pression pour l'abrogation de la loi de 1920 qui pénalisait l'avortement. »

En 1975, la loi Veil est votée par l'Assemblée nationale et l'IVG devient légale en France mais le combat continue. « La loi ne nous satisfaisait pas – poursuit Françoise Soulimant – certaines - et certains car il y avait aussi des hommes avec nous - pensaient que le délai n'était pas suffisant mais surtout nous n'avions pas obtenu un avortement gratuit et les centres IVG n'étaient pas assez nombreux ; on en demandait dans tous les hôpitaux. »

L'éducation ensuite

« Notre corps nous appartient ; un enfant si je veux, quand je veux ». Les slogans des mouvements féministes destinés à l'obtention du droit à l'IVG ont entamé une nouvelle réflexion. Les femmes ont pris conscience que non seulement elles devaient maîtriser leur maternité, mais bien toute leur vie et notamment tout ce qui concerne le droit au travail et la répartition des charges domestiques. Et puis ajoute Françoise Soulimant : « on était encore jeunes, mais on vieillissait et certaines commençaient à avoir des enfants. » C'est le début d'une nouvelle aventure, celle de la naissance d'une part suivie bientôt par la réflexion sur l'éducation des enfants.

Françoise Soulimant s'est mariée et est revenue en 1976 pour travailler à Rennes après un passage par l'Algérie. Elle accouche à l'Hôtel-Dieu d'une petite fille née « sans violence » c'est-à-dire dans un contexte moins médicalisé et plus attentif aux besoins du bébé et de sa maman. Se pose alors la question de la garde de cette enfant.

mlf« C'était un moment où je n'avais plus beaucoup d'engagement [sauf la commission « femmes » de la CFDT et le groupe « femmes » de Villejean- ndlr ] et il y a eu ce projet de crèche parentale. » dit Françoise Soulimant. Les nouveaux parents font le constat d'un manque de structures d'accueil pour les jeunes enfants alors que de plus en plus de jeunes mères ont un emploi. « On a interpellé Edmond Hervé pour lui demander plus de crèches car à l'époque c'était surtout des nounous et ça ne nous convenait pas » se souvient Françoise Soulimant qui revendique alors comme nombre d'autres jeunes parents une réflexion poussée sur l'éducation nourrie de lecture comme « Libres enfants de Summerhill » ou « Du côté des filles » : « on avait une réflexion sur le partage des tâches entre le père et la mère, sur ce qu'on voulait transmettre, sur l'éducation des filles. » S'organise donc la crèche parentale « Bugale ». Chaque parent doit être présent une demie journée par semaine pour assurer la garde des enfants mais aussi le ménage, les courses, etc. et chaque vendredi soir une réunion permet d'ajuster l'organisation mais aussi de débattre sur l'éducation. « C'était l'époque ! » sourit Françoise Soulimant qui reconnaît que ce projet-là l'a mobilisée pendant trois ans, jusqu'à ce que sa fille entre à l'école.

L'égalité maintenant

« Mon engagement ensuite a surtout été mon travail comme cheffe d'établissement » dit l'ancienne professeur d'anglais. En 1990, elle passe le concours et devient personnel de direction pendant les vingt années suivantes. En poste dans différents établissements rennais, c'est pour elle l'occasion de poursuivre son combat pour l'égalité. « J'espère que ma pratique professionnelle a été marquée par tout ça – dit-elle – je me suis beaucoup engagée pour l'orientation des filles, pour le respect notamment dans le comité de pilotage d'Envie 2 Respect qui lutte contre les stéréotypes et pour l'égalité entre les filles et les garçons. Dans tous mes projets d'établissements – il y en a eu quatre – j'ai toujours mis un volet laïcité et un autre sur l'égalité et l'orientation. »

Et aujourd'hui ? Depuis quatre ans, Françoise Soulimant est en retraite. En retraite professionnelle, seulement. Car du côté du militantisme, pas de repos ! Longtemps présidente de l'association de jumelage Rennes-Sétif, la jeune retraitée revendique son attachement à l'Algérie où elle retourne régulièrement. Elle est encore membre du CIDFF 35 et assesseure au tribunal des mineurs mais aussi vice-présidente de l'AROEVEN (association régionale des œuvres éducatives de l'éducation nationale), un mouvement d'éducation populaire qui forme les délégués de classes et agit en faveur de l'éducation à la démocratie. « Je crois que j'ai fait le tour – conclue-t-elle avant de se raviser dans un rire – ah, non, j'oubliais : je suis aussi membre du comité laïcité 35 avec la Ligue de l'Enseignement et la Ligue des Droits de l'Homme ! »

soulimant2« Je suis active, oui, et je crois que c'est important de garder un engagement citoyen. Il faut rester vigilant ; le mouvement associatif, les initiatives citoyennes, ont une fonction d'alerte et doivent stimuler les partis politiques ; ils ont un rôle d'éclairage » dit encore celle qui vient d'être auditionnée par Nathalie Appéré, la nouvelle maire de Rennes, sur cette question de la laïcité.

La lutte toujours

Quant aux combats purement féministes ? La vieille militante reste concernée bien sûr mais voit aussi d'un bon œil la relève prendre les choses en main même si les actions menées par les féministes des années 2010 lui semblent bien loin de ses propres luttes : « toutes ces jeunes femmes qui s'organisent ont parfois des actions un peu spectaculaires ; elles sont peut-être plus osées que nous, mais je trouve ça bien. Je regardais un peu de loin et je voyais qu'il n'existait plus grand chose. Dans les années 2000, on a pu avoir l'impression que les femmes avaient gagné. On a gagné beaucoup de choses, c'est vrai, il y a eu beaucoup de lois même si toutes ne sont pas bien appliquées mais il reste beaucoup à faire notamment pour l'égalité au travail qui est je crois la priorité aujourd'hui. Je parle en fonction de mon expérience de mère et de grand-mère ; je vois que les choses évoluent dans les couples et je suis assez optimiste sur les relations intra-familiales. En revanche sur le travail c'est difficile. Je crois, et je l'ai toujours dit à ma fille, que la condition de l'indépendance des femmes c'est le travail. Comment une femme peut-elle être libre si elle ne gagne pas sa vie ? Aujourd'hui encore une jeune femme qui prend un congé parental a du mal à retrouver sa place ensuite et dans les mentalités, là, je ne suis pas sûre que les hommes bougent beaucoup ! »

Evoquant sa propre carrière, Françoise Soulimant reconnaît encore : « aujourd'hui on est dans un contexte de crise. Nous, on était des enfants gâtés dans les années 70, on ne pensait pas au chômage. On pouvait se permettre de quitter une ville pour aller ailleurs ; la précarité, on ne la connaissait pas. Maintenant, la précarité touche les hommes et les femmes bien sûr, mais elle touche quand même plus les femmes, je crois ! »

Geneviève ROY

Françoise Soulimant fait partie des femmes qui ont témoigné sur les luttes des années 70 pour le livre « Les femmes s'en vont en lutte, histoire et mémoire du féminisme à Rennes 1965-1985 » de Lydie Porée et Patricia Godard (2013) aux éditions Goater