Sous des airs de jeune femme effacée, presque timide, Lise Boussemart cache une personnalité bien affirmée. Elle sait que, dans son domaine plus encore qu'ailleurs, une femme doit s'imposer.
« Des femmes ont tracé le chemin avant moi et je les en remercie ; heureusement qu'elles sont passées par là » dit-elle évoquant toutes celles qui ont œuvré à la mixité des métiers, mais principalement celles qui ont ouvert la voie en médecine.
Lise est à la fois enseignante, chercheuse et praticienne en dermatologie, spécialiste des cancers de la peau à Rennes où elle est arrivée auréolée d'une découverte scientifique importante.
« Je croyais que ça allait changer ma vie » dit modestement celle qui reconnaît que cette réussite lui a apporté quelques facilités financières mais n'a pas considérablement modifié sa façon de vivre. Son équilibre, elle le trouve entre ses différentes activités menées avec passion et sa famille interculturelle.
Une femme qui porte une blouse blanche à l'hôpital, c'est forcément une infirmière. Surtout si elle est jeune et jolie ! Voilà un stéréotype contre lequel Lise Boussemart doit se battre fréquemment. Par exemple, lorsqu'elle visite ses patient-e-s accompagnée d'un jeune étudiant et que c'est à lui qu'on s'adresse comme s'il était professeur. « L'avantage en médecine, c'est que plus on est vieux et plus c'est confortable parce qu'on correspond mieux à l'image du médecin » s'amuse la jeune femme qui avoue dans un rire s'être fait « couper les cheveux à [ses] débuts pour avoir plus l'air d'un médecin ! »
En attendant d'être vieille, Lise poursuit sa route. « Le milieu médical et la recherche se féminisent beaucoup – admet-elle – en première année de médecine, on compte entre 60 et 70 % de filles. Mais il ne faut pas forcément y voir une victoire pour les femmes. Je pense qu'il faut plutôt s'interroger ; c'est surtout que ces métiers se dévalorisent et que les hommes préfèrent aller ailleurs pour faire fortune. »
Demander une promotion, un acte militant
« On se bat toujours contre un ennemi abstrait » dit encore Lise qui veut « encourager les jeunes femmes à avoir des ambitions ». N'a-t-elle pas elle-même demandé une promotion au bout d'une année passée à l'hôpital de Rennes ! « J'avais assez d'ancienneté pour le faire – raconte-t-elle – puisque j'avais quatre ans d'expérience antérieure ; c'était osé un an seulement après ma nomination, mais dans les textes j'avais le droit. Même si une collègue m'a dit qu'elle avait attendu huit ans pour le faire. » Résultat : Lise n'a pas eu sa promotion et personne ne lui a dit pourquoi. Mais elle ne se décourage pas ; « je vais la redemander cette année – dit-elle – il ne faut pas avoir honte de demander ce à quoi on a droit parce qu'on est une femme. Pour moi, c'est presque un acte militant ! »
Ce n'est que tardivement que Lise a intégré ce type de discours. Enfant, elle a vécu avec l'image d'une mère sans emploi, ne sachant pas conduire et toute occupée de son foyer. Japonaise, elle était arrivée « par amour » en France où ses diplômes n'étaient pas reconnus. « Je suis devenue complètement différente de ma mère et je crois qu'elle est fière de moi » dit la jeune femme. Pourtant, sa première motivation pour entrer en fac de médecine était « de trouver un garçon idéal, gentil, tourné vers les autres, intelligent et qui pourrait bien s'occuper » d'elle ! Mais la jeune fille est brillante et ses parents ont toujours encouragé ses capacités pour les études ; elle se rend compte rapidement qu'elle pourrait « faire carrière » et ne pas « dépendre d'un homme ».
« La satisfaction par procuration, je ne pense pas que ce soit une bonne chose » dit Lise aujourd'hui. Bien au contraire, elle plaide la nécessité de « trouver son bonheur soi-même ». « J'aime ce que je fais – dit-elle encore – ça satisfait mes besoins intellectuels et quand je rentre chez moi, je suis contente. Mes enfants le sentent et c'est bien pour eux. » Même si à l'école, il est quelquefois mal vu de ne pas être présente à « l'heure des mamans ».
L'enseignement, un espace créatif et de liberté
Le travail de Lise s'épelle en quelques lettres : MCU - pour maître de conférence des universités - auxquelles il faut ajouter PH pour praticien hospitalier, parce que sans la pratique, dit-elle, « on oublie vite le contact avec le patient, la pathologie, les avancées médicales ». « C'est très prenant – confie-t-elle – ce n'est pas un tiers + un tiers + un tiers ! » Non, plutôt trois plein temps, ou presque ! « Je travaille souvent chez moi le soir quand les enfants sont couchés ! » Peu de médecins, selon elle, cumulent ainsi les deux fonctions d'enseignants et de praticiens, mais Lise estime qu'elles « s'alimentent mutuellement » et que si c'est « moins confortable » c'est aussi « plus gratifiant ».
Côté recherche, la jeune femme travaille sur les cancers de la peau, qu'elle soigne aussi à l'hôpital où elle appelle ses patients, des « actients », convaincue que c'est en étant actifs et impliqués qu'ils pourront mieux lutter contre la maladie. Avec l'équipe de l'Institut Gustave Roussy à Paris, elle a en 2015, permis une avancée notable dans les traitements. « Mon sujet de travail, c'est le mélanome métastatique – explique la chercheuse – on a trouvé une nouvelle cible qui permet de prolonger l'efficacité des traitements et qui donne de nouvelles perspectives thérapeutiques. On a publié dans Nature, l'une des plus importantes revues scientifiques au niveau mondial. C'était tellement inaccessible que je pensais que ça allait changer complètement ma vie » ; et d'ajouter dans un rire : « j'ai eu un abonnement d'un an au magazine ! »
Ce qui a réellement changé pour elle, c'est qu'elle s'est installée à Rennes où on lui a proposé un poste en CDI – qu'elle n'avait pas à Paris – et que sa nouvelle notoriété lui a permis d'obtenir des financements importants à la fois pour s'installer dans son nouveau laboratoire et pour poursuivre d'autres recherches. « Il faut que je trouve mon propre sujet maintenant – dit-elle – Ce qui me tient à cœur et que j'aimerais développer en Bretagne, région de France où il y a le plus de mélanomes, c'est la prévention. » En attendant, Lise s'emploie à transmettre à ses étudiants, un exercice qu'elle apprécie particulièrement. « L'enseignement c'est très créatif – assure-t-elle – c'est un espace de liberté où on peut vraiment inventer une façon de faire passer un message. »
Pour ses filles, de l'ambition et des chaussures pour courir
C'est aussi autour d'elle que Lise met en pratique la prévention. Comme tou-te-s les professionnel-les qui travaillent sur ces thématiques, elle dit être « paranoïaque » avec ses enfants. « Ce qui provoque des mélanomes plus tard, ce sont les coups de soleil de l'enfance, avant la puberté » détaille-t-elle. Et si cette maladie est fréquente en Bretagne, c'est parce que les gens y ont une peau claire, peu adaptée à la luminosité, et que le vent permanent diminue la sensation de chaleur. C'est dès le plus jeune âge qu'il faut apprendre aux enfants à se protéger.
Lise est maman de deux filles et d'un garçon dont le papa est à demi Iranien. Un mélange culturel plein de richesse et d'apprentissage de la tolérance. « Je parle japonais avec l'accent français et eux ne le parlent pas du tout » dit Lise qui compte emmener sa petite famille au Japon cet été pour la première fois. Toujours combative, elle affirme : « j'aimerais que mes filles sentent que j'ai les mêmes ambitions pour elle que pour mon fils comme mes parents l'ont fait pour moi et mon frère ».
Elle milite à sa façon pour cette égalité souvent mise en danger à l'école où se fait la première hiérarchisation entre les filles et les garçons. La jeune maman s'indigne de cette société de consommation qui féminise les vêtements dès les premiers pas. « Les petites filles tombent aussi – dit-elle simplement – et elles se rendent compte qu'en collants, elles se font plus mal qu'en pantalon ; alors, elles ne courent plus ! » Elle a trouvé la solution : « j'ai arrêté d'acheter des chaussures avec lesquelles les petites filles ne peuvent pas courir et des robes avec lesquelles elles ne peuvent pas bouger »
Et à l'heure des dessins animés, elle s'emporte contre les modèles dominants infligés aux enfants ; « les femmes y sont passives, dépendantes de l'homme et heureuses quand elles se marient et ont beaucoup d'enfants » analyse-t-elle avant d'ajouter : « on regarde parfois des Disney en famille, mais après on discute et on se demande si Cendrillon n'aurait pas pu se rebeller un peu au lieu de faire le ménage en attendant le prince charmant ! »
Geneviève ROY
Note : Lise Boussemart souhaite dédier cet article à ses « chers actients d'hier et d'aujourd'hui ainsi qu'à leurs familles »
Pour en savoir plus :
Lire l'article publié par Rennes 1 sur le travail de Lise Boussemart