Elle en parle comme de « la muse de Pont-Aven ».
Lorsque la Brestoise Marie-Hélène Prouteau évoque le personnage de son dernier livre, à paraître dans quelques jours, c'est la femme dans toutes ses dimensions qui l'intéresse. Pas seulement la sœur de ou la femme aimée par.
Si elle a choisi de raconter la vie de Madeleine Bernard c'est parce qu'elle aime mettre en avant des femmes un peu oubliées. Ou des femmes, simplement. Comme celles, des plasticiennes notamment, avec qui elle partage des moments artistiques forts.
Dans son œuvre comme dans sa vie, ses engagements féministes ne sont jamais loin.
Le portrait de Madeleine Bernard, sœur du peintre Emile Bernard, peint par Gauguin, est longtemps resté caché parce que peint au dos d'un autre tableau, plus connu, La rivière blanche. Un épisode lié à la Bretagne ; on parle ici de Pont-Aven.
La Bretagne, la peinture, une femme. Trois bonnes raisons pour retrouver l'écrivaine Marie-Hélène Prouteau au cœur de cette histoire. La biographie de la jeune Madeleine, morte de la tuberculose à seulement vingt-quatre ans, a fait partie de sa vie durant de longues années. Passionnée de peinture autant que de littérature, Marie-Hélène Prouteau est aussi très attachée aux racines, les siennes se trouvent du côté de Brest. Un intérêt pour l'Histoire qui inévitablement l'amène souvent à consulter des archives.
« J'aime faire des va-et-vient entre le passé et le présent –dit-elle – parler des anonymes aussi bien que des personnes plus connues. J'ai raconté assez peu de choses intimes ; j'évite de parler de moi directement, mais j'aime les figures dans lesquelles plein de lecteurs et de lectrices peuvent se retrouver ».
Et c'est parfois un peu d'elle qu'on devine malgré tout, cachée derrière les ombres de ses grands-parents ou des lieux chers depuis l'enfance ou plus récemment : les rues de Brest, une petite plage du Finistère, les vieilles maisons de Nantes. Ses romans au style souvent poétique laisse passer le souffle de l'Histoire et celui de sa Bretagne natale.
« Ma propre écriture est intimement liée à la lecture »
Féministe des années 70, celles de la lutte pour la contraception et l'avortement, c'est par des écrits engagés que Marie-Hélène Prouteau débute sa carrière d'écrivaine. Au fil des souvenirs qu'elle égrène, on voit se dessiner les milieux étudiants du Paris d'après 68, celui qui voit poindre les premières revues féministes, les actions militantes, les grands procès portés par Gisèle Halimi. Elle s'intéresse d'abord à la situation des femmes de son époque, puis travaille sur les romancières dans la deuxième guerre mondiale. Puis viendra Marguerite Yourcenar pour qui elle confesse « une admiration qui n'a jamais diminué ».
De retour dans l'Ouest où elle enseigne à Nantes, la voilà plongée dans les archives de son lycée pour faire revivre les premières étudiantes de classes préparatoires. Parmi plus de mille garçons, la toute première fille, en 1925, vient de Saint-Brieuc et l'écrivaine salue encore aujourd'hui son « courage assez saisissant ! »
Pour Marie-Hélène Prouteau les écrits se multiplient : articles dans des revues, études d'auteurs et d'autrices qu'elle admire (Yourcenar bien sûr mais aussi Stendhal, Homère, la littérature russe) ; ce sont aussi des romans et des critiques littéraires. « Ma propre écriture est intimement liée à la lecture ; j'aime les écritures différentes de la mienne, leurs différences m'enrichissent » explique-t-elle. « Quand je fais une critique littéraire – dit-elle encore – j'aime me fondre dans ce que l'auteur ou l'autrice a voulu dire ou transmettre, puis essayer de donner envie aux lecteurs. Je suis plutôt dans la critique empathique. » Et on l'imagine, le crayon à la main, annotant les marges lorsqu'elle évoque « une lecture active ».
Marie-Hélène Prouteau aime que les regards se croisent, un autre va-et-vient qui l'intéresse. Avec les plasticiennes nantaises Olga Boldyreff ou Isthme-Isabelle Thomas, elle s'est réjouit d'un travail de double création, se « laissant porter par l'œuvre de l'autre ».
« J'ai voulu faire revivre Madeleine, lui redonner sa voix »
« Je me considère comme féministe, c'est une évidence – dit Marie-Hélène Prouteau – ça fait partie de ma façon de voir le monde ». Aussi est-elle toujours très attentive aux combats d'aujourd'hui ; « chaque génération apporte sa pierre à l'édifice et les choses ne sont jamais acquises ».
Avec la biographie de Madeleine Bernard qui vient d'occuper plusieurs années l'écrivaine, c'est aussi de la place des femmes qu'il est question. Celle que l'autrice qualifie de « beauté pensive et mystérieuse, modèle de plusieurs peintres, inspiratrice oubliée » lui a demandé de longues recherches. Elle a marché sur ses traces de Pont-aven à Genève en passant par Nottingham, a passé des heures à lire les nombreuses lettres écrites ou reçues par la jeune femme et à admirer les tableaux de Paul Gauguin, d'Emile Bernard et d'autres.
« Je ne suis pas une spécialiste de l'Histoire de l'Art – dit la biographe – je n'ai pas un regard d'historienne, j'ai juste voulu faire revivre Madeleine, lui redonner sa voix. » Et à travers elle, un peu de la voix de toutes les femmes de son époque dont elle épouse les luttes pour plus d'indépendance.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
Retrouver les écrits de Marie-Hélène Prouteau en ligne sur les sites littéraires : "Terres de femmes" d'Angèle Paoli, et notamment son texte sur le tableau d'Olga Boldyreff : Chambre d'enfant gris tristesse ou encore "A la littérature" de Pierre Campion, en particulier un de ses derniers textes, "La rade et l'Indien d'Amérique"
La suivre sur sa page facebook (Marie-Hélène Prouteau Stephan)
Lire ses romans : Les Blessures fossiles (2008), Les Balcons de la Loire (2012), L'Enfant des vagues (2014), La petite plage (2015), La Ville aux maisons qui penchent (2017), Le Coeur est une place forte (2019)
En librairie à partir du 24 février : "Madeleine Bernard, la songeuse de l'invisible" que les éditions Hermann présentent ainsi :
« Cette jeune fille de dix-sept ans pleine de charme que peint un Gauguin amoureux, c'est Madeleine Bernard. Elle n'est pas un modèle comme les autres. En cet été 1888, la jeune fille est la muse de Pont-Aven. D'autres l'ont peinte, dont Émile Bernard, son frère.
Née à Lille en 1871, Madeleine est d'une grande beauté et d'une vive intelligence. Elle voit naître sous ses yeux la formidable aventure de l'art post-impressionniste. Sur les bords de Seine à Asnières, à Saint-Briac, à Montmartre, elle est présente, sans être artiste elle-même, rencontre Odilon Redon, Van Gogh, grand ami de son frère. Elle s'intéresse à la peinture. Mais aussi à la théosophie, aux spiritualités orientales. Entre ce frère rebelle si doué et une mère tyrannique, il lui faut trouver sa place de femme. Elle aspire à la liberté, choisit de travailler. Supporte mal ce milieu superficiel des ateliers de couture. Au fond, c'est une âme mystique, tendue vers l'invisible. Qui est Madeleine qui mourra à vingt-quatre ans ? Cette jeune femme qui ose poser une rupture radicale avec sa vie d'avant en s'enfuyant à Genève loin des siens ? Sa vie y prendra un tournant romanesque en croisant celle de la jeune Isabelle Eberhardt et de son frère. Marie-Hélène Prouteau, qui a eu accès à une correspondance abondante, a tenté de cerner cette personnalité remarquable, complexe, attachante dans ses contradictions. »