Emma Estelle

Si on leur parle de ces jeunes diplômé.e.s de l'AgroParisTech qui se sont fait connaître en refusant de travailler pour l'agriculture industrielle, elles répondent dans un éclat de rire « on l'a fait avant eux et on a fait moins de bruit ! ».

Plus sérieusement, Estelle Serpolay et Emma Flipon s'expliquent : « Entre élever des chèvres dans le Larzac et travailler pour Monsanto, il y a plein d'autres possibilités ».

Une fois en poche leur diplôme d'ingénieures agronomes, elles ont fait le choix de s'intéresser aux semences paysannes. Un domaine qui peut paraître opaque mais qu'elles s'emploient à rendre plus accessible notamment via un podcast sur la biodiversité cultivée.

 

« Toutes les deux on a 0% de génétique bretonne – s'amusent Emma Flipon et Estelle Serpolay – mais on s'est adaptées ici, comme nos variétés ! » La première a quitté sa Champagne natale pour suivre des études à l'Agrocampus de Rennes et n'est jamais repartie ; la seconde revendique des origines du sud-est et même d'Italie mais elle est née à Rennes et y est revenue avec plaisir une fois ses études terminées à l'école d'agriculture d'Angers.

Leur rencontre dans les laboratoires de l'INRA a donné naissance à une petite activité, D'une graine aux autres, soutenue par la coopérative Oxalis. Leur objectif : défendre la biodiversité cultivée, en d'autres termes « une agriculture respectueuse de l’environnement et des humains qui la cultivent et la consomment ».

 

« Résoudre

les problèmes agricoles

plutôt que les créer »

 

« Depuis le collège j'avais envie de travailler dans l'environnement – raconte Emma – Nos profs nous disaient que c'était notre génération qui devrait changer les choses. » Même si aujourd'hui, elle s'interroge sur sa « part de libre arbitre », elle reconnaît avoir désormais cette préoccupation « dans les tripes ». Etudiante à l'Agrocampus de Rennes, c'est tout naturellement qu'elle s'oriente vers les propositions qui permettent des actions plutôt positives, ce qu'elle veut c'est « résoudre les problèmes plutôt que les créer ».

« Je n'avais pas trop de convictions écolos au début – dit de son côté Estelle – je m'intéressais surtout à la qualité de l'eau ; j'ai tout découvert à l'école ». Son mémoire de fin d'études sur la sélection des plantes pour l'agriculture bio lui ouvre un nouvel horizon.

logodiversiteLes deux jeunes femmes le reconnaissent aisément, en-dehors du « monde des semences paysannes, personne ne sait ce qu'est la biodiversité cultivée ». Comme elles croient profondément que c'est là que réside la possibilité de lutter contre l'agriculture industrielle qu'elles dénoncent, elles s'attachent chaque jour par leurs recherches mais aussi des formations, des interventions auprès de professionnel.le.s et depuis quelques mois leur podcast dédié, à faire connaître ce concept.

 

« Il faut de la diversité

pour qu'il y ait toujours

quelque chose à cultiver »

 

Un rapport du FAO estime qu'entre 1900 et 2000 on a perdu 75% de biodiversité cultivée au détriment de la sécurité alimentaire. Si toute la planète cultive les mêmes céréales, qu'arrivera-t-il lorsqu'une maladie ou de nouvelles conditions climatiques détruiront ces plantes ?

La biodiversité cultivée, expliquent les deux ingénieures, repose sur trois piliers : le nombre d'espèces cultivées, le nombre de variétés au sein de ces espèces et la diversité génétique des variétés. Loin donc des semences commercialisées à grande échelle qui se doivent de répondre à des normes d'homogénéité. « C'est un concept dynamique – explique Estelle – vu que les conditions météo changent, que les techniques agricoles peuvent changer, que les sols peuvent changer, il faut de la diversité pour qu'il y ait toujours quelques chose à cultiver ».

A cause de l'industrialisation, certaines espèces sont devenues très minoritaires. Qui aujourd'hui en Bretagne cultive le millet, autrefois culture traditionnelle ? Au niveau mondial, rappellent-elles, seulement six grandes cultures représentent 70 à 80% de l'apport alimentaire alors que des espèces dites "orphelines" sont complètement oubliées.

Redécouvrir des variétés, c'est « super stimulant » se réjouissent Estelle et Emma évoquant ces paysans-meuniers qui réinventent leur métier, ces paysans-boulangers qui remettent au goût du jour le pain au levain ou encore ces cuisiniers qui imaginent de nouveaux desserts à base du millet de leurs grands-mères.

 

« Pourquoi ce sont

ceux qui détruisent l'environnement

qui gagnent le plus d'argent ? »

 

Avec le recul, les deux ingénieures regrettent le peu d'implication des écoles d'agronomie sur ce sujet de la biodiversité cultivée. « Quand j'ai découvert ce monde – explique Emma – j'ai eu le sentiment d'un mensonge par omission de mon école. J'avais fait des stages dans des labos de nutrition où je sentais que ça ne m'allait pas mais je ne savais pas trop où aller alors que c'était ça que je cherchais, en fait ! »

« On nous propose des voies toutes tracées – renchérit Estelle – alors qu'il existe d'autres choses qui, si elles étaient autant soutenues que l'agriculture industrielle, créeraient des emplois et permettraient à plein de gens de vivre dignement. Pourquoi ce sont ceux qui détruisent l'environnement qui gagnent le plus d'argent ? »

Si les deux jeunes femmes se souviennent avoir été un peu moquées durant leurs études où elles et leurs semblables se faisaient traiter « d'écolos de façon assez péjorative » elles se consolent en pensant qu'aujourd'hui les choses avancent. Depuis certaines prises de conscience et notamment les Marches pour le Climat qui ont mobilisées la jeunesse, elles espèrent que les étudiant.es rentrent dans les écoles d'agronomie avec « moins de naïveté et un esprit plus critique ». Mais elles continuent à regarder avec circonspection une certaine écologie « institutionnalisée » qui tend à récupérer le sujet pour de mauvaises raisons.

De leur côté, elles font ce qu'elles peuvent pour mener le combat. La nouvelle pierre qu'elles ont souhaité apporter à l'édifice est un podcast en ligne depuis le mois d'octobre et qui affiche déjà plus de 800 écoutes. A raison d'un épisode de vingt à quarante minutes chaque mois, elles souhaitent s'adresser au plus grand nombre, qu'il s'agisse de professionnel.le.s qui veulent s'inspirer du travail des autres ou du grand public sensible aux questions environnementales.

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : écouter le podcast Cultivez la Biodiversité