Depuis plusieurs éditions, les Trans Musicales de Rennes s'accompagnent chaque année de temps d'échanges sur la place des femmes dans les musiques actuelles.
Comme si finalement c'était moins naturel pour une femme que pour un homme de faire carrière dans ce milieu. Comme techniciennes, elles sont très peu nombreuses ; comme musiciennes, elles peinent à s'imposer ; c'est du côté de l'administration et de la communication, qu'on en trouve le plus.
Autrement dit, l'égalité est encore loin. Et c'est sans doute pour ça qu'il est si important pour elles de faire vivre la sororité comme l'a rappelé Elise Dutrieux aux Champs Libres le 10 décembre dernier.
En musique comme dans d'autres disciplines artistiques ou sportives notamment, c'est dès l'enfance que les choses se dessinent. Aux garçons les instruments, le côté technique, aux filles le chant et la danse. Si pour s'en convaincre un seul chiffre suffisait, Elise Dutrieux cite une étude de 2011 sur le jazz qui nous apprend que les femmes professionnelles dans cet art sont à 65% chanteuses et à seulement 4% instrumentistes. Elles se retrouvent souvent dit-elle obligées de « déployer des stratégies pour se faire une place dans le milieu et intègrent des mécanismes d'autocensure ».
Face à elles, les hommes, nombreux et installés aux postes de pouvoir, s'organisent comme dans d'autres secteurs en fraternités, ces lieux où ils se soutiennent, se cooptent, se transmettent leurs bons plans. « L'entre-soi se reflète aussi clairement dans les choix de programmation » note la conférencière qui souligne que les femmes se retrouvent ainsi programmées moins souvent et dans de plus petites salles.
A la recherche de la légitimité
Pour transformer leur isolement, et donc leur vulnérabilité, en quelque chose de positif, les femmes ont réinventé les sororités, pendants féminins des fraternités. C'est sous forme de collectifs (ou de collectives comme Elise Dutrieux aime à les appeler) que les actrices des musiques actuelles ont choisi à la fois de défendre leurs droits et de s'épauler entre sœurs.
Mais attention, « si les espaces qui n'incluent que des hommes nous paraissent normaux - explique Elise Dutrieux – l'inverse est jugé clivant, excluant ou communautariste lorsqu'elles ne sont pas considérées comme insignifiantes ou niaises ». Car la sororité dit-elle « n'est pas donnée et nécessite un véritable (ré)apprentissage ».
Shesaidso, Loud'Her ou encore Fair-Play, les initiatives en non mixité se multiplient depuis quelques années pour proposer aux femmes de l'écoute, du partage d'expériences ou tout simplement « de s'offrir la légitimité les unes aux autres ». On y pratique en particulier le mentorat pour les plus jeunes, on y développe des groupes de parole qui permettent d'exprimer ce qui parfois empêche d'avancer, on y trouve une forme de reconnaissance et donc de réassurance.
Des sororités polyphoniques
Toutefois, prévient Elise Dutrieux, les « sororités restent un mécanisme politique » et les plus reconnues réunissent « des femmes blanches, plutôt aisées, plutôt hétérosexuelles ». Il ne faudrait donc pas oublier que d'autres discriminations existent notamment le racisme, le classisme, le validisme ou encore l'homophobie et que certaines femmes peuvent cumuler plusieurs de ces discriminations dans « un parcours semé d'embûches ».
« Entrevoir et écouter les sororités – dit encore Elise Dutrieux – c'est accepter leur caractère polyphonique ; on ne peut pas envisager les sororités sans les conjuguer au pluriel ». Une pluralité qu'elle juge « vivante et fertile ».
« Les fraternités ont fondé notre société – insiste la conférencière en conclusion – en s'intéressant aux sororités, on s'intéresse à d'autres manières de faire société », d'autres modes d'action. Un moyen aussi pour elle d'inviter les hommes à questionner leurs privilèges, à les redistribuer et pourquoi pas à envisager « un futur en adelphité » !
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : consulter le blog d'Elise Dutrieux La mante des eaux et retrouver le texte de sa conférence sur le site des Trans Musicales 2022