Il a d'abord fallu prendre le temps pour que la confiance s'installe. Ces choses-là ne se disent pas facilement. Mais celles qui ont accepté de témoigner sont conscientes de l'importance de leurs paroles.

Dans les Côtes d'Armor, l'association Adalea accompagne entre autres missions des femmes victimes de violences conjugales et leurs enfants. Elle avait un rêve : réaliser une vidéo pour montrer le travail accompli mais aussi donner un message d'espoir à d'autres victimes.

La rencontre des éducatrices avec le collectif La Cavale a permis de monter un projet sur plusieurs mois. Le film « Partir » est aujourd'hui en ligne et l'histoire de s'arrête pas là...

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La vidéo dure sept minutes mais a nécessité des mois de rencontres et des heures d'entretiens enregistrés. « On est venus passer du temps au centre d'hébergement – raconte Nicolas Drouet, le réalisateur – plus de huit jours au total, sans filmer, sans enregistrer, juste pour rencontrer les personnes et ça s'est mis en place tout doucement. On s'est beaucoup vu, on a bu des cafés, discuté ensemble et puis un jour j'ai dit : la prochaine fois, je filmerai ». C'est d'ailleurs cette méthode de travail et l'intérêt du collectif pour les droits des femmes qui ont séduit Rachel Tisserand et ses collègues éducatrices de l'association, conscientes de la difficulté des femmes à se raconter et soucieuses du respect de leurs histoires.

« D'ordinaire nous sommes leurs voix,

quand elles peuvent témoigner c'est important »

« On voulait quelque chose qui ne soit pas dans le pathos – dit-elle – et en même temps qui donne une notion d'espoir. Notre message est de dire qu'on peut se sortir de situations de violences. C'est l'immersion totale de Nicolas et des autres membres du collectif dans notre CHRS qui a fait que les femmes ont finalement réussi à se confier facilement, tous les moments de partage vécus ensemble, une préparation de repas, une sortie à la plage, un atelier maquillage, etc. »

adalea2Peu à peu le projet de l'association devient celui des femmes accueillies qui ont pu préparer les entretiens, choisir ce qu'elles avaient envie de dire et de montrer et sont aujourd'hui fières du résultat. « D'ordinaire, c'est nous qui sommes leurs voix – dit encore l'éducatrice – mais quand elles peuvent elles-mêmes témoigner, c'est quelque chose d'important ! »

Nicolas Drouet, impressionné par les parcours de ces femmes, a tenu à leur présenter une version non définitive afin qu'elles donnent leur accord pour chaque parole conservée. La sélection peut être difficile et la frustration parfois grande quand il faut ne conserver que quelques minutes d'images sur les plus de six heures d'entretiens filmés. « On a recueilli beaucoup de paroles » explique le réalisateur qui dit avoir hésité à faire une version plus longue.

Le choix du collectif s'est finalement porté sur un autre projet. Les rencontres avec les femmes d'Adalea, celles déjà effectuées et d'autres à venir, serviront de matériau au projet de théâtre documentaire que La Cavale entend consacrer à la violence des hommes. Une façon de conserver les mots tout en écartant la question de l'image, parfois difficile à gérer. Si quelques-unes ont accepté de témoigner à visage découvert, c'est parfois compliqué pour d'autres.

« Les enfants sont au cœur des violences ;

ce sont aussi des victimes »

La vidéo d'Adalea, présente sur les réseaux sociaux et peut-être bientôt dans les salles de cinéma de Bretagne, accorde aussi une place aux enfants. Ce n'était pas une envie d'origine de l'équipe de l'association mais elle s'est imposée au fil des rencontres, lorsque Nicolas Drouet a commencé à discuter avec certain enfants présents aux ateliers d'expression du mercredi après-midi. « Les enfants sont accueillis avec leurs mères mais on ne leur accorde pas toujours de temps spécifique – observe Rachel Tisserand – Pourtant, ils se trouvent vraiment au cœur des violences conjugales ; ce sont de vrais témoins mais aussi des victimes ».

adalea3De ces échanges avec les enfants, le réalisateur a voulu conserver une trace sous forme de dessins pour les plus petits et d'une voix off pour les deux adolescent-es rencontré-es ; un texte qu'il a écrit avec les jeunes à partir des mots qui lui avaient été confiés.

« Il y a la vidéo réalisée – reconnaît Rachel Tisserand – mais aussi tout ce qui s'est passé à côté. » Au-delà des sept minutes de film terminé, du côté d'Adalea, les éducatrices comme les femmes accueillies, mais aussi du côté de la Cavale, une histoire nouvelle est née. Faite de l'histoire des un-es et des autres. Une histoire collective, interrompue momentanément par l'irruption d'un virus, mais qui devrait s'écrire encore longtemps.

« J'aime les documentaires qui se font dans la durée – résume Nicolas Drouet – C'est quelque chose qui est en mouvement, ce n'est pas une parole qui existe à un instant T mais qui évolue. » Un peu comme la reconstruction de ces femmes. « Je sors du couloir, j'entrevois de la lumière » dit l'une d'elles dans le film tandis qu'une autre déclare « peu à peu on reprend soin de nous ; on ré-existe ! »

Geneviève ROY

Photos 1 et 3 extraites du film « Partir » ; photo 2 : les six membres du collectif La Cavale