Quarante ans après le vote de la loi Veil, autorisant l'interruption volontaire de grossesse en France, ce sujet serait-il encore et toujours tabou ? Pourquoi ce qui finalement est un droit octroyé à toutes les femmes, devrait toujours se justifier et entraîner un sentiment de culpabilité pour celles qui l'utilisent ?
C'est une impression de « retour des conservatismes » généré par la Manif pour Tous puis les résultats d'un sondage (certes réalisé à la demande d'une association pro-vie) faisant état d'une très forte majorité de femmes considérant que l'avortement amène forcément un traumatisme qui sont à l'origine d'un projet de documentaire que Nicolas Drouet, du collectif La Cavale, est venu présenter à Rennes au mois de mai.
L'objectif : montrer à des militant-e-s le début du travail mené depuis trois ans et lancer une campagne de financement participatif pour achever le montage et la post-production.
« J'ai ressenti une grande panique parce que j'ai su tout de suite que je ne voulais pas de cette grossesse, que je n'étais pas prête » - « J'ai eu un instant de panique et puis il est apparu très vite que la solution, et la seule solution, c'était d'avorter » - « C'était assez évident pour moi, je n'avais pas envie d'être mère » - « Je n'avais pas envie d'aller en milieu hospitalier ; j'étais contente de pouvoir le faire chez moi ».
A l'écran se succèdent les visages et les témoignages ; les voix sont plutôt jeunes, celles d'une génération née après 1975. Toutes les femmes ont accepté d'être filmées dans un espace public. « On ne voulait pas que la question de l'IVG soit abordée dans des lieux de l'intimité – argumente Nicolas Drouet – au contraire, on voulait parler d'expériences intimes dans des espaces publics. »
Un sujet difficile à financer
Ce soir-là, à l'Hôtel Pasteur à Rennes, Nicolas Drouet se fait le porte-parole d'un groupe dont il fait partie avec Susana Arbizu, Henri Belin et Mickaël Foucault. Depuis trois ans, les quatre documentaristes sillonnent la France ( Paris, Lyon, Nancy, Metz, Toulouse et bientôt la Bretagne) pour recueillir des témoignages de femmes rencontrées via les réseaux sociaux et/ou des associations militantes. Face à la caméra, elles sont dix-sept à avoir accepté de raconter leur histoire. Des histoires de femmes libres d'exercer un droit accordé par une loi.
« Ce film a été extrêmement compliqué à produire » regrette Nicolas Drouet qui explique qu'aucune chaîne de télévision, aucune société de production, n'a excepté de soutenir le projet. Des refus qu'il attribue au sujet : « des femmes qui ont avorté et qui ne le regrettent pas et font même le choix d'en parler, de dire qu'elles refusent l'idée même de pouvoir en souffrir ».
Si les quatre cinéastes ont jusqu'à présent travaillé de façon bénévole, pour achever leur film et notamment assurer le montage et la post-production, ils souhaitent faire appel à des professionnel-les et pouvoir les rémunérer. Débute, donc, une nouvelle étape : celle qui va les mener dans différentes villes en partenariat avec des associations locales pour présenter le projet, armés d'une trentaine de minutes de rushes, avec l'envie de débattre et d'échanger. « Nous nous adressons – disent-ils – à toutes les personnes qui considèrent qu'un film de défense du droit à l'IVG est nécessaire et qu'il doit être vu, débattu et critiqué »
Pression sociale et culpabilité
A Rennes, c'est avec le Planning Familial 35 et Histoire du Féminisme à Rennes que la soirée a été organisée. Une vingtaine de personnes, militant-e-s et/ou professionnel-les de la santé, se sont posé les questions centrales du film : pourquoi cette culpabilité permanente qui continue à peser sur les femmes qui avortent ? L'information existe-t-elle suffisamment et est-elle assez claire ? Les équipes soignantes sont-elles suffisamment formées et savent-elles accompagner ?
Une participante rappelle « la pression sociale et l'image de la femme forcément heureuse d'être enceinte qui demeurent et obligent ces femmes à justifier leur choix ». Une autre parle de la notion d'échec qui entoure l'IVG : « on nous renvoie en permanence qu'on est en échec ; échec de la contraception, échec de la relation, etc. alors que c'est juste un événement qui s'inscrit dans le parcours de nombreuses femmes ».
A l'écran, une jeune femme a raconté son expérience difficile : « j'ai eu l'impression qu'il fallait qu'on me fasse bien sentir que l'équipe n'était pas là pour ça. » Tandis qu'une autre parle de sa visite désastreuse aux urgences du centre hospitalier : « pour eux, ce n'était pas l'urgence des urgences, mais il faut bien aller quelque part ; il devrait toujours y avoir quelqu'un pour répondre. Les réponses sont très théoriques ! »
Un outil de lutte et de réflexion
Elisa Quémeneur, directrice du Planning Familial 35, tient à souligner que la temporalité des soignants n'est pas la même que celle d'une femme qui vient de découvrir sa grossesse. « D'un point de vue médical, c'est loin d'être une urgence » dit-elle. Alors, plus d'informations ? Sans doute, mais surtout une meilleure information. « L'accès à l'information sur l'IVG est très compliquée et très disparate – explique encore Elisa Quémeneur – D'une ville à l'autre, on ne va pas avoir le même parcours à faire » Et souvent les recherches via Internet, le premier réflexe pour beaucoup de jeunes femmes, renvoient à des sites anti IVG, généralement bien référencés.
C'est aussi pour ça que Nicolas Drouet et son équipe souhaitent voir aboutir leur film. « Un film qui devra être accompagné – plaide-t-il – C'est hyper important de le faire exister au sein des lieux militants pour en faire un outil de lutte mais aussi de pédagogie, un outil de réflexion commune. » Pari réussi à Rennes, le 26 mai dernier. En attendant le retour de l'équipe avec le documentaire terminé. La sortie du film devrait être programmée en fin d'année 2016.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
En savoir plus sur le film « Quand je veux, si je veux ! 40 ans après la loi, l'IVG en France » sur le site du collectif de réalisation ou sur la page facebook
Participer au financement de la post-production : ici
Photos : les deux photos qui illustrent cet article sont extraites du film ; Anne-Isabelle et Sophie font partie des femmes qui ont accepté de raconter leur histoire.
Adresses utiles : le Planning Familial est présent sur tout le territoire français et tient des permanences notamment à Douarnenez, Saint-Brieuc, Rennes et Saint-Malo pour la Bretagne.
Le site du ministère de la Santé apporte toutes les informations utiles sur l'interruption volontaire de grossesse.