Elle ne comprend pas, Amira*, ce qui lui est arrivé. Venue de Casablanca en mars 2015 pour rejoindre son mari en France, la voilà à la rue, sans papier, obligée de mendier un logement à des associations. Une belle histoire qui comme elle le dit amèrement « a fini un peu vite » !

« Jusqu'à présent je me demande pourquoi » avoue celle qui attend les papiers à la fois du divorce et du droit de séjour qui lui permettraient d'envisager son avenir plus sereinement.

Là-bas, au Maroc, la famille ne connaît pas toute l'histoire ; et la jeune femme n'a pas très envie de lui raconter ses « misères ».

 Trajectoires

 

Pour suivre son mari, la jeune épouse a tout laissé au Maroc. Lui, vivait en France depuis dix ans. Ils s'étaient rencontrés par l'intermédiaire de leurs familles et mariés au pays. « Au Maroc, je travaillais. J'ai fait une licence en économie ; j'occupais un poste d'assistante en ressources humaines. J'avais un bureau, une voiture, un appartement » raconte Amira. Et c'est le cœur léger qu'elle embarque pour la France, persuadée de venir y vivre une grande passion et de « fonder une famille », désireuse de ne revenir au Maroc « que pour les vacances ».

« A part lui, je ne connaissais personne ;

il m'a mis dans une vraie misère »

Six mois après son mariage, elle rejoint donc son mari à Rennes dans le cadre du regroupement familial. « Au début, c'était la joie – dit-elle aujourd'hui – sauf que ça n'a pas duré longtemps ». Quelques mois passent et arrivent les derniers papiers de régularisation : son titre de résidente. Et là, brusquement son mari change de comportement. « Il a radicalement changé – dit-elle – trois jours après l'obtention de mon titre, il a décidé de divorcer. Je n'ai pas compris pourquoi. » Dans la foulée, il lui « vole » ses papiers et les dépose à la Préfecture ; puis il la chasse du domicile. Pour elle c'est un choc et « une désespérance profonde ».

« Je me suis retrouvée toute seule – témoigne encore la jeune femme – A part lui, je ne connaissais personne. Il m'a mis dans une vraie misère ; sans papiers, en France, tu n'as droit à rien du tout ! » Son mari lui explique qu'il n'a jamais souhaité l'épouser. « Le mariage n'était pas dans sa tête ; c'était sa famille qui voulait qu'il se marie et ait des enfants » croit comprendre Amira qui se retrouve à la rue.

Elle se souvient : « c'était le mois d'août ; j'étais dans un jardin juste derrière notre maison. Je le voyais monter et descendre et je lui demandais de me laisser entrer parce que j'avais froid. Il me répondait que je n'avais aucun droit, que le bail était à son nom... J'ai passé quelques nuit là, dans le jardin ! »

« Quand il fait froid

on essaie d'être le plus possible

dans les magasins »

Amira est une jeune femme énergique. Elle décide de réagir et se rend en centre-ville. « Je savais comment aller jusqu'à République ; là, j'ai trouvé des Arabes, des jeunes, et l'un d'eux m'a prêté son téléphone pour que j'appelle ma famille. Et il m'a dit : viens, on va aller voir une assistante sociale. Elle a composé le 115 et m'a dit que je devais porter plainte. On y est allées ensemble mais ça a été classé sans suite. » A la Préfecture, on refuse de lui rendre ses papiers. Puisqu'elle ne peut justifier de trois années de communauté de vie avec son mari et qu'elle n'a pas d'enfants, son titre de séjour n'est plus valable en cas de séparation.

C'est alors pour la jeune femme une vie d'errance qui commence. D'abord l'hébergement d'urgence du 115 pendant un an : « il n'y a pas toujours des places et ce n'est que pour dormir ; ça ouvre à 18h et ça ferme à 8h 30 le lendemain matin. Entre les deux, on est dans la rue ; quand il fait froid on essaie d'être le plus possible dans les magasins, les centres commerciaux. »

Aidée par les associations, elle tente de relever la tête. Depuis un an, Bienvenue lui propose un hébergement temporaire ; l'UAIR l'accompagne dans sa demande de titres de séjour et sa procédure de divorce. La jeune femme voit rejeter ses différents recours et fait actuellement l'objet d'une OQTF (obligation de quitter le territoire français) mais elle tente de garder espoir malgré sa solitude. « Je suis d'une famille où la maison est toujours pleine – dit-elle – la porte est ouverte et il y a toujours de la vie. Jamais on est seuls à la maison ; je ne supporte pas la solitude ! »

« Je ne suis pas encore assez forte

pour dire :

arrêtez, c'est ma vie ! »

Retourner au Maroc ? Il n'en est pas question pour Amira. De toute façon, elle a tout abandonné en partant et devrait repartir à zéro là-bas comme ici. Et puis, sa famille n'est informée que partiellement. « Au début, j'ai un peu rompu avec ma famille, mais tout de même ça fait du bien de garder ce lien. Mais je ne leur dis pas tout. Ils ne savent pas que je suis logée à droite à gauche, que je ne suis pas stable. Je ne raconte pas comment je me débrouille. J'essaie de dire que je suis bien et je ne dis pas toutes mes misères. Mon père a soixante-quinze ans, ce n'est pas la peine de le tracasser avec mes problèmes ! »

Une question de fierté, aussi. « J'ai honte – dit encore la jeune femme - je sens que ma dignité est un peu atteinte. Je n'ai pas le courage de rentrer et de me mettre face à ma famille. Je ne suis pas encore assez forte pour leur dire : arrêtez, ne me posez pas de questions ; c'est ma vie ! » Surtout que dans son pays, elle pense aussi qu'elle se heurterait aux préjugés encore tenaces sur les femmes divorcées ; « ce ne serait pas acceptable là-bas » dit-elle sobrement.

« Le pire c'est de ne pas avoir de logement ;

tout est diminué, même la santé »

Pourtant, Amira sait qu'elle n'a rien à se reprocher et qu'elle n'est pas la seule dans cette situation. « J'ai rencontré une femme à l'UAIR – raconte-t-elle – on s'est rendu compte qu'on étaient arrivées dans le même avion de Casablanca à Nantes. Et on s'est retrouvées le même mois de septembre à l'UAIR pour chercher une solution parce qu'on avait eu le même parcours ! » Amira croit savoir que cette jeune femme a réglé ses problèmes et qu'elle va mieux.

Un encouragement pour elle ; « si on m'en donne les possibilités, ça va être facile pour moi de refaire mon avenir en France. Je viens d'une autre culture, donc, pour s'intégrer il faut du temps, mais si on accepte de changer un peu, de lâcher nos traditions, on peut y arriver. Mon expérience de migrante, c'est ce qui m'est arrivé de plus difficile. Le pire, c'est de ne pas avoir de logement. C'est la première chose... sans logement, tout est diminué, même la santé. »

Avec Bienvenue, Amira a trouvé des familles bienveillantes. Et même s'il faut régulièrement refaire ses valises et changer de maison d'accueil, les « choses se passent toujours bien » dit elle. Ce qu'elle voudrait désormais, Amira, c'est comprendre ce qui lui est arrivé.

Geneviève ROY

* - Le prénom a été changé

Photo : exposition Trajectoires