Nous étions sorties pleines d'allégresse l'an dernier des "Contes à rebours" de Typhaine D. C'est ce souvenir encore tout chaud en nous que nous nous sommes précipitées jeudi soir à la Maison de Quartier de Villejean pour assister à son nouveau spectacle.
Avec "La Pérille mortelle" l'artiste nous invite dans un monde inversé. « Une gymnastique intellectuelle » un peu déstabilisante mais nécessaire pour dynamiser les militantes que nous sommes !
La publique était nombreuse et vibrante dans la salle de la Maison de Quartier, heureuse de jouir de cette dernière soirée de liberté avant la couvre-feu. Bientôt, les gentes devraient rester enfermées chez elles d'ailleurs l'artiste sur scène les remerciait d'avoir « bravé le corona » pour venir la voir. C'était belle...
Pas facile l'exercice d'une écriture au féminin ; difficile de se départir de cette langue intégrée dès l'enfance. Typhaine D, elle, s'en sort admirablement bien. Dans son monde où le ciel est en bas et la terre en haut, où les enfants n'ont pas le droit de battre leurs parents et où 90% de la population mondiale possède presque toutes les richesses, les gens très pauvres sont des hommes blancs. Au fil de son imaginaire, elle convoque ses thèmes de prédilection : les droits de l'enfant, les injustices sociales, le racisme et la défense animale.
Immortelle, immortelle...
Dans le monde de Typhaine, au royaume des Schtroumpfettes il n'y a qu'un seul Schtroumpf et les petits garçons grandissent en chantant « un jour ma reine viendra » ; « les femmes dominent les hommes depuis la nuit des temps » et toutes les grammairiennes l'affirment : le féminin l'emporte sur le masculin.
Sa réponse (tonitruante) aux propos des académiciens qui voyaient dans l'écriture inclusive un « péril mortel » pour la langue française est à la fois réjouissante et interpellante. Avec elle, on rit de ce monde à l'envers, de cette société où le clitoris – tagué sur tous les murs des villes - est symbole de pouvoir, de puissance et de domination et où Grégoire, le jeune stagiaire de la rédaction, est harcelé par sa cheffe de service et moqué pour son désir de voir disparaître du vocabulaire officiel ce terme un peu désuet qui le caractérise, damoiseau.
Avec une énergie formidable, Typhaine arpente la scène, virevolte dans sa veste d'Immortelle, citant les causes qui lui sont chères et celles et ceux qui les défendent (HF, Osez le Féminisme notamment) agrémentant son texte des actualités du moment : un metteur en scène récompensé, une allocution présidentielle, la Une d'un magazine réactionnaire...
Laisser infuser lentement
A la fin du spectacle, elle remercie deux chercheuses spécialistes du langage et des droits des femmes qui l'ont inspirée : Eliane Viennot - « linguiste et historienne, donc contrairement aux mecs de l'Académie, compétente sur le sujet » - et Aurore Evain – universitaire, metteuse en scène qui « nous a rendu les mots autrice et matrimoine ». Elle invite aussi à poursuivre les échanges par mail ou sur les réseaux sociaux. « Il faut parfois laisser infuser – dit-elle – il y a beaucoup de choses dans ce spectacle à la gymnastique intellectuelle un peu particulière ».
Lorsque la foule quitte lentement la salle, boostée par cette belle soirée, « en particulière » les femmes, elle se prête volontiers aux conversations informelles et confesse son envie de revenir à Rennes (on la partage) ; elle aimerait notamment y présenter son troisième spectacle féministe. Contrairement aux deux autres, elle n'en est pas l'autrice, mais prête son talent au petit livre de Fanny Raoul, une « philosophesse » bretonne. Ce petit manifeste, écrit en 1801, « aurait pu – estime-elle - être écrit la semaine dernière » et elle se réjouit que des femmes s'arrêtent en faisant leur marché pour l'écouter lorsqu'elle le joue dans la rue, en région parisienne.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
Retrouver Typhaine D sur son site et sa page facebook
Lire Fanny Raoul, "Opinion d'une femme sur les femmes" éd. Le passager clandestin