Amandine Hancewicz est consultante et formatrice sur l'égalité femmes/hommes. Manuela Spinelli est maîtresse de conférence à l'Université Rennes 2, spécialiste des études de genre. Ensemble, elles ont fondé l'association Parents et Féministes.

A deux voix, elles publient un ouvrage dont le titre sonne comme un fabuleux programme : Eduquer sans préjugés, pour une éducation non sexiste des filles et des garçons.

Et elles nous le confirment : « en réfléchissant sur l'éducation, on peut contribuer à construire une société plus égalitaire ».

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Entretien avec Manuela Spinelli

Breizh Femmes - Comment est né le projet de ce livre ?

Manuela Spinelli – Nous avons eu une sorte de déclic au moment où nous sommes devenues mères en étant confrontées aux injonctions que subissent tous les parents et notamment les mères dans le domaine de l'éducation. Tout en étant féministes, tout en étant professionnelles du sujet du genre, nous nous sommes rendu compte que nous n'étions pas épargnées par les expériences de sexisme ou les stéréotypes ! De ce constat, nous est venue la volonté d'écrire ce livre pour partager nos connaissances, nos expériences et nos réflexions. Notre idée n'est pas de dire ce qu'il faut faire ou ce qu'il ne faut pas faire mais plutôt comment cheminer ensemble vers l'égalité. Le domaine de l'éducation est déjà plein d'injonctions déguisées en bons conseils aux parents ; nous avons vraiment fait attention de ne pas en rajouter une couche.

BF – Quelles sont les grandes idées que contient votre livre ?

MS – Nous avons structuré le livre comme un dialogue, un questionnement collectif. Il s'adresse aux adultes, parents ou professionnel-les de la petite enfance et/ou de l'éducation avec trois grandes parties consacrées aux différents âges : 0/3 ans, 3/6 ans, 6/10 ans. Nous parlons de la famille mais aussi de la crèche, de l'école maternelle et de l'école primaire avec une interpellation directe au ministère de l'Education Nationale car il y a un manque évident de formation des personnels de l'éducation. Un grand espace est laissé au partage d'expériences à travers des témoignages que nous avons collectés comme une sorte de cercle de paroles dans lequel on partage, on met en commun puis on voit comment chacun chemine à son rythme sur ce parcours de l'égalité.

BF – Votre ouvrage n'est donc pas un répertoire de bonnes choses à faire ?

MS – Non, c'est plutôt une boite à outils. Nous partons d'un témoignage concret pour l'analyser afin de voir où se niche le stéréotype et quelles sont ses racines. Les thèmes abordés sont variés : la couleur des vêtements, les jouets, les manuels scolaires, les livres, etc. A partir de cas concrets nous proposons de déconstruire ensemble en mobilisant nos connaissances historiques et sociologiques pour expliquer les racines du stéréotype et ses conséquences à la fois pour les enfants mais aussi pour la société.

BF – Quelles peuvent être ces conséquences ?

MS – Le livre met en relation les stéréotypes qui pèsent sur les enfants et les inégalités que les femmes expérimentent au quotidien, par exemple, le fait que dès la maternelle on a tendance à couper la parole aux petites filles et à valoriser celle des garçons. L'idée est de démontrer qu'il existe un lien entre l'éducation des enfants et les inégalités ou discriminations que certaines catégories subissent aujourd'hui : les femmes mais aussi les personnes racisées, les personnes trans, les personnes intersexes. Même une personne qui n'a pas d'enfants ou qui ne travaille pas avec des enfants peut lire ce livre parce qu'on y trouve des clefs de compréhension pour la vie quotidienne. En réfléchissant sur l'éducation, on peut contribuer à libérer les enfants, à leur ouvrir le champ des possibles et donc à construire une société plus égalitaire.

BF – L'éducation des enfants semble être encore un domaine très féminin, pourquoi ?

MS – Notre livre s'adresse à tous mais nous savons que ce seront surtout des femmes qui nous liront parce que ce sont elles qui lisent ce type d'ouvrages et plus largement parce que l'éducation est encore aujourd'hui attribuée aux mères. Pour une raison historique, d'abord ; ce sont les femmes qui ont été assignées depuis toujours au travail domestique au sens le plus large, travail ménager mais aussi soin des enfants. Pour une raison sociale ensuite, parce que les petites filles sont très tôt socialisées à ce type de travail notamment par le biais des jouets qui contribuent à renforcer les rôles de genre traditionnels. Dans le livre, mais aussi en tant qu'association, nous demandons ce qu'on appelle la parentalité égalitaire, c'est-à-dire une responsabilisation égale des deux parents dès la grossesse. Parce que la parentalité ne doit pas peser uniquement sur les femmes. Le travail du soin, celui de l'éducation, ne sont pas naturels, ne sont pas innés chez les femmes ; ce sont des compétences qu'on acquiert et les hommes peuvent aussi les acquérir. Ça peut se faire dès l'enfance grâce à l'éducation mais aussi à l'âge adulte et nous pensons que le congé paternité peut être une période propice à ce type d'apprentissage.

BF – C'est une des revendications phares de votre association Parents et Féministes ?

MS – Tout à fait. Depuis un an, nous avons été obligées bien sûr de mettre en suspens nos activités en présentiel, mais nous restons très actives sur les réseaux sociaux. Et notamment, nous insistons beaucoup sur l'importance du congé paternité. Notre association Parents et Féministes est mixte et nous rencontrons beaucoup de pères impliqués mais aussi des hommes qui souhaiteraient être plus présents et rencontrent une sorte de mur dans la société et surtout dans leur travail. Actuellement, le congé parental concerne les femmes à 80%. Lorsque des pères en font la demande, c'est souvent leurs employeurs qui mettent une barrière. Les pères doivent lutter continuellement contre des barrières sociales et parfois économiques parce que c'est plus difficile de renoncer au salaire de l'homme qui gagne généralement plus. Nous voyons l'allongement obligatoire du congé paternité et sa durée égale à celui du congé maternité comme un levier fondamental pour l'égalité femmes/hommes. Il faut permettre aux pères d'être présents d'un point de vue professionnel parce que actuellement le congé maternité opère une sorte de césure dans la carrière des femmes et du point de vue du lien qu'on peut établir avec l'enfant et de l'apprentissage du soin.

Propos recueillis par Geneviève ROY

Pour aller plus loin : lire le livre Eduquer sans préjugés de Manuela Spinelli et Amandine Hancewicz aux éditions J.C.Lattès (sortie le 3 février 2021) et retrouver l'actualité de Parents et Féministes sur le site de l'association et sur facebook