Trois semaines à vélo de Saint-Brieuc à Audierne à la recherche de témoignages. C'est le pari que s'était lancé Marine Gilis au printemps 2019.
Pour écrire sa thèse, l'étudiante de l'université d'Angers voulait rencontrer des militantes féministes des années 70, celles qui avaient connu cette « révolution sexuelle » devenue un peu mythique dans l'esprit des jeunes générations.
Avant cette équipée sportive sur les routes, pas si plates qu'elle le croyait, de Bretagne, la jeune femme avait déjà entamé ses recherches ; elle les a poursuivies ensuite.
Voici venue l'heure de la rédaction de sa thèse, mais aussi celle de présenter un film documentaire réalisé à partir des interviews filmées.
Marine Gilis a débuté son travail de recherche à Rennes. Une étape facilitée par le travail préalable de Lydie Porée et Patricia Godard pour la rédaction de leur livre « Les femmes s'en vont en lutte ». Et c'est aussi à Rennes, à l'occasion de l'Assemblée Générale de l'association Histoire du Féminisme à Rennes qu'elle présentait en octobre les premiers extraits de ses interviews filmées.
Entre ces deux étapes, la jeune doctorante est partie à la recherche des (anciennes) militantes sur les deux régions qu'elle avait choisies d'étudier : la Bretagne et les Pays de la Loire. Son objectif : « mettre en lumière ce qui s'est passé dans l'Ouest pour détourner le regard parisianocentré du mouvement des femmes ».
Témoigner pour transmettre
Grâce aux recherches précédentes, notamment à Rennes, les militantes avaient pour certaines déjà « pris conscience de la dimension historique » de leur expérience et de l'importance de « laisser une trace ». Ce sont au total une cinquantaine de personnes qui ont accepté de témoigner dont 36 devant la caméra de l'étudiante. « J'articule une double démarche – explique celle-ci – avec des entretiens guidés anonymes pour ma thèse mais aussi le souci de faire circuler les témoignages, de les rendre accessibles à d'autres. »
L'idée de ces témoignages libres face caméra était de « raconter tout ce qu'elles souhaitaient transmettre pour que ça serve à d'autres ». Les films seront déposés dans des centres d'archives et pourront être consultés par le grand public. Un projet qui rejoint l'envie de certaines militantes de transmettre notamment à leurs petits-enfants. « Certaines m'ont dit que c'est important pour elles de se rendre compte qu'elles ont fait quelque chose » reconnaît Marine Gilis.
La jeune femme est désormais en phase de rédaction de son travail et espère pouvoir soutenir sa thèse à l'automne 2022. Mais pour elle, l'histoire ne s'est pas arrêtée pour autant. Et la présence de nombreuses de ses témoins à chaque projection dit combien les liens créés restent forts. « C'est ma façon à moi de faire de la recherche – explique-t-elle – on continue à s'appeler, je les informe régulièrement de mon travail ».
Actives et militantes pour la vie
« La plus jeune doit avoir 67 ans et la plus âgée 88 ; on n'est pas tout à fait dans les mêmes énergies » dit encore Marine Gilis qui précise que si certaines ne sont plus actives aujourd'hui, parfois depuis peu d'ailleurs, la plupart d'entre elles ont conservé une âme militante durant toute leur vie. « Globalement, elles sont restées féministes – dit-elle - souvent elles ont eu d'autres engagements : syndicaux, politiques, écologiques. »
Et elles posent un regard plutôt favorable sur les mouvements féministes actuels, même si parfois elles peuvent éprouver des divergences avec les modes de revendications des plus jeunes. « On sent un nouveau souffle » disent certaines ; quand d'autres commentent « sur certains sujets, on ne comprend pas toujours » ! La prostitution, la GPA, le port du voile... des thématiques continuent à diviser au sein du féminisme.
Marine Gilis n'a finalement pas été particulièrement surprise des paroles recueillies. « J'avais le contexte historique et législatif, je connaissais la lutte pour l'avortement, la contraception – analyse-t-elle - mais j'ai été suprise de ce que ça m'a fait à moi. Certaines choses ont fait écho ce que je suis moi, en tant que femme, en tant que lesbienne aussi. Des paroles m'ont beaucoup travaillée ; je ne m'étais pas du tout préparée à accueillir des récits de viols ou de violences... »
Le fossé générationnel n'est finalement pas si profond entre l'étudiante et les anciennes militantes des années 70. « On ne vit pas du tout dans le même contexte historique – dit Marine Gilis - il y a une distance entre nous mais en même temps une certaine proximité ; le sujet sur lequel j'avais beaucoup lu est devenu beaucoup plus concret pour moi, plus profond aussi. Ce que je voudrais faire ressortir c'est une grande diversité des expériences. On ne peut pas dire "la libération sexuelle, c'est ceci ou c'est cela" il y a énormément de choses derrière, des contradictions, des évolutions dans le temps, etc. C'est ça que je voudrais montrer ! »
Geneviève ROY