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A la cinémathèque de Bretagne, les femmes ont souvent un rôle de passation. Ce sont elles qui viennent déposer les films réalisés par leurs pères ou leurs époux. Pourtant, elles furent aussi parfois derrière la caméra.

Du côté de la musique traditionnelle bretonne, peu nombreuses sont les femmes sur les scènes des fest-noz ou dans les festivals. Pourtant, ce sont elles qui transmettent la culture bretonne ou gallèse à leur entourage.

Des constats qui suffisent à se convaincre qu'il est urgent de redonner toute sa place au matrimoine, cet héritage des mères. C'est cette question qu'avaient choisie de mettre en lumière l'association HF Bretagne et la cinémathèque de Bretagne en ces premiers jours du mois de mars à Rennes.

 

« Le matrimoine est constitué de la mémoire des créatrices du passé et de la transmission de leurs œuvres. L’égalité entre femmes et hommes nécessite une valorisation de l’héritage des femmes. Dès lors Matrimoine et Patrimoine constitueront ensemble notre héritage culturel commun, mixte et égalitaire » apprend-on sur le site matrimoine.fr.

Un mot qui, s'il semble nouveau à certaines oreilles, date pourtant du Moyen-Age, une époque où dans la transmission d'un héritage on faisait la part de ce qui venait du père et la part de ce qui venait de la mère.

Pour Elise Calvez, responsable du groupe Matrimoine de l'association HF Bretagne, « nommer le matrimoine, c'est lui permettre d'exister dans nos livres et dans notre culture, une façon de construire une Histoire mixte ». C'est ce qu'elle a tenu a rappeler le 1er mars à l'occasion de la conférence proposée à la Maison Internationale de Rennes. Organisée en partenariat avec le Cercle Celtique à l'occasion du festival Sevenadur, cette soirée avait pour objectif de mettre en lumière la place des femmes dans la musique traditionnelle bretonne.

Une tradition portée par les femmes

Soazig Hamelin, également membre de HF et musicienne, s'est appuyée sur quelques chiffres pour montrer la réalité des inégalités. Les filles représentent autour de 60% des élèves des différents lieux d'enseignement de musique bretonne alors qu'on n'en retrouve que 8% sur les scènes des fest-noz. « Que se passe-t-il ? - s'est-elle interrogée – Où disparaissent-elles ? »

sevenadurLa veille, Thérèse Dufour, collectrice de chants et contes de Haute Bretagne avait rappelé dans un autre lieu que ce sont principalement les femmes qui au fil du temps ont légué à leur entourage – leurs fils notamment – la culture musicale bretonne. Pourtant, les musiciennes réunies ce soir-là à la MIR l'ont confirmé : dans leur formation, elles ont manqué de modèles féminins.

Mais, des femmes il y en a. Et il y en eut dans le passé. Si l'on regarde la collection « Grands Interprètes » de l'association Datsum sur les neuf CD enregistrés, six concernent des chanteuses. Les femmes sont aussi très présentes dans les chansons qui forment la culture gallèse ou bretonne comme le soulignent les musiciennes présentes. On y parle d'abus, de violences, de « ces questions qui font la vie des femmes » et qui semblent étonnamment résonner avec les problématiques d'aujourd'hui. Ce sont pour Klervi Piel, musicienne et membre du groupe Dixit, « des chansons de femmes chantées pour les femmes ». Peut-être – se dit-elle – qu'à l'époque on ne parlait pas de ces choses-là et que la chanson était un moyen de le faire.

Les femmes réalisatrices, des cinéastes comme les autres

De matrimoine, on parla également le dimanche 5 mars aux Champs Libres avec la cinémathèque de Bretagne. La projection destinée à mettre en valeur « le regard des femmes réalisatrices » proposait une sélection de cinq films tournés entre 1955 et 1987.

Ce qu'il faudra retenir c'est une fois encore la place particulière qu'occupent ici les femmes. Sur les cinq films proposés deux seulement sont signés à part entière par leurs réalisatrices, Marie-Louise Jacquelin et Régine Le Hénnaff alors que deux autres, ceux de Raymonde Albertini et Henriette Ethès, sont présentés par leurs maris, eux aussi cinéastes amateurs. Le dernier film étant tout simplement anonyme ; on sait que c'est une femme qui tient la caméra puisqu'on entend sa voix en off, conversant avec la repasseuse de coiffes bretonnes qu'elle interviewe, mais on ignore son identité.

Le travail de documentation en cours à la cinémathèque concernant ces films ne permet pas encore d'accéder à beaucoup d'informations sur ces femmes réalisatrices. Sur les 1590 dépôts étudiés on sait toutefois que seuls 59 sont l’œuvre de femmes et qu'elles ont sensiblement le même profil que les hommes réalisateurs amateurs de l'époque ; elles viennent d'un milieu social plutôt favorisé et occupent des postes de fonctionnaires, d'enseignantes ou des professions libérales.

Quant aux sujets abordés, ils sont aussi conformes au reste du fonds plutôt centré sur des films familiaux ou des reportages de voyage en Bretagne ou à l'étranger. A l'époque de leur tournage, ces films étaient diffusés dans des clubs d'amateurs, parfois en festivals. Et en cela ceux des femmes ne se différencient pas de ceux des hommes. Les sujets choisis ce dimanche en donnent un exemple. D'un côté le repassage des coiffes dans le Finistère et les moissons dans une ferme de Pacé ; de l'autre la pêche au thon au Portugal, les hommes lions au Tchad ou encore les marchés de Tinerhir près de Ouarzazate au Maroc.

Etre toujours pionnières demande beaucoup d’énergie

Même Maria de Filippis, l'animatrice de cette projection, peine à défendre les deux derniers films présentés dont on se demande pourquoi ils ont été choisis tant leurs relents colonialistes semblent indisposer les spectateur-rices. S'ils devaient servir à quelque chose ce serait peut-être à démontrer que les femmes sont des réalisateurs comme les autres, imprégnées de leur époque et de leur société. Ce serait une forme de censure de ne vouloir conserver dans le matrimoine que les œuvres de femmes qui rejoignent nos attentes d'aujourd'hui et de préférer enterrer les autres. Faire vivre le matrimoine c'est bien donner leur place à toutes les créations des femmes , même si parfois on préférerait ne garder qu'une image valorisante !

HFBretagne« La question du matrimoine n'est pas cosmétique » résume Elise Calvez (à droite sur la photo) en conclusion de la table ronde organisée par HF Bretagne. Comment filles et garçons peuvent-ils se construire, s'interroge-t-elle, face à une « Histoire où les femmes sont absentes des lieux d'innovation, de pouvoir, de travail et de création ? On n'est pas des pionnières, montrons les femmes qui ont déjà existé. »

De son côté, Soazig Hamelin confie qu'elle-même a dernièrement pris conscience qu'elle ne devait plus se présenter comme issue « d'une famille de musiciens » mais bien « d'une famille de musiciennes » puisque sa mère et sa grand-mère l'ont précédée dans cette voie. « Se sentir pionnières à chaque génération est une dépense d'énergie inutile – assurent les deux femmes – la route est déjà ouverte, il n'y a qu'à la suivre ! »

Geneviève ROY