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 « Tout ne s'est pas passé à Paris » s'amuse à rappeler Françoise Bagnaud.

A l'occasion de la sortie de l'ouvrage collectif Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs, la militante rennaise souligne les grandes étapes de l'histoire du mouvement lesbien dans les années 70/80 à Rennes.

En compagnie de Clémentine Comer, post-doctorante en sociologie et deux autres chercheuses, elle a contribué à l'écriture d'un chapitre sur cette ville foisonnante où deux associations permirent de donner la parole à des femmes jusque-là invisibles.

Sous-titré « luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels - 1970/1990 » l'ouvrage collectif publié aux éditions La Dispute était présenté en décembre à Rennes à la librairie Comment Dire. L'occasion pour Hugo Bouvard qui a co-dirigé ce travail de rappeler que ces deux décennies ont marqué de grandes avancées notamment en termes législatifs pour toute la communauté homosexuelle française.

L'heure semble venue à la plongée dans les archives de cette époque et nombre de chercheur.se.s s'en emparent. « Plein de clivages, de tensions, de questions qui se posent aujourd'hui – a rappelé Hugo Bouvard – se posaient déjà soit différemment soit de la même manière il y a quarante ou cinquante ans ».

Pour relire cette histoire, dans sa collection Le genre du monde, la maison d'édition a choisi de faire « quatre pas de côtés » en mettant en avant un décentrement géographique pour « casser le parisiano centrisme », en rendant visibles les luttes lesbiennes souvent plus discrètes que les luttes gays mais aussi en rappelant les politiques d'alliances avec d'autres mouvements comme les syndicats et en reconsidérant les pratiques culturelles. Moins connus que les tracts et les manifestations, la convivialité et les temps festifs ou artistiques ont largement émaillés ces années de lutte notamment dans la communauté lesbienne comme l'illustrent les archives des deux associations rennaises nées au tout début des années 80 : Femmes Entre Elles et Cité d'Elles.

Plus difficile d'être lesbiennes à Rennes qu'à Paris

Lille, Lyon, Nantes, Angers... Parmi toutes les villes françaises citées dans cet ouvrage, Rennes fait figure de pionnière avec l'association Femmes Entre Elles (FEE), la plus ancienne association revendiquée lesbienne de France qui a fêté en 2022 ses quarante ans et se porte encore bien aujourd'hui.

Depuis quelques temps déjà, la militante rennaise Françoise Bagnaud, soutenue par l'association Histoire du Féminisme à Rennes, se penche sur les archives de FEE pour retracer l'histoire de ces luttes souvent passées inaperçues, entre les mouvements gays plus visibles et l'essor du féminisme. Avec les chercheuses Clémentine Comer, Camille Morin Delaurière et Alice Picard, elle signe le chapitre consacré au « cas rennais ».

Lesbiennes1Pour se souvenir du contexte de l'époque, les deux autrices présentes aux côtés de Hugo Bouvard, ont rappelé que ce n'était pas la même chose de militer à Rennes ou à Paris dans les années 70/80. Dans cette Bretagne où l'influence de l'Eglise est encore très marquée, « l'anonymat et la permissivité d'avoir une sexualité en dehors des codes hétérosexuels sont plus difficiles à vivre » selon Clémentine Comer. Les jeunes femmes, « première génération d'étudiantes ou de jeunes travailleuses qui ont grandi à la campagne avant de s'installer en ville », manquent de « figures d'identification lesbienne ».

Créée en avril 1982, l'association Femmes Entre Elles leur offre un lieu d'écoute et d'accueil. Pour Françoise Bagnaud, c'est « la possibilité d'être soi » dans une société où l'homosexualité est encore considérée comme une maladie mentale et où « le lesbianisme c'est se sentir socialement discriminées, être dans une forme de silence ». Venir aux permanences de FEE, c'est trouver la convivialité, pouvoir s'exprimer sans peur du jugement social ou moral et acquérir tout simplement une « visibilité lesbienne ».

FEE, pionnière aussi pour la Marche des Fiertés

Quelques mois plus tard, en 1983, l'association Cité d'Elles qui se crée à Rennes s'affiche comme féministe, ce que FEE ne revendique pas du tout. Complémentaires, les deux associations proposent pour l'une des temps plus festifs et pour l'autre des actions plus militantes ; la première regroupe beaucoup de femmes actives de classes moyennes quand la seconde attire les femmes aux origines sociales plus bourgeoises avec des parcours universitaires et souvent déjà militants. Certaines femmes fréquenteront les deux groupes.

A l'inverse de FEE qui comme son nom l'indique n'accueille que des femmes lesbiennes, Cité d'Elles se dit ouverte à toutes les femmes. La cause lesbienne n'est plus la priorité ; la lutte contre le patriarcat domine. « Les membres de FEE cherchent à donner corps à leurs imaginaires lesbiens et à vivre tranquillement comme lesbiennes – dit encore Françoise Bagnaud – alors que les militantes de Cité d'Elles sont plutôt dans la lutte contre la tutelle masculine. Les lesbiennes de FEE n'étaient pas en guerre contre les hommes, elles voulaient juste pouvoir exister ! »

Ce qui est commun à ces deux associations c'est qu'elles « valorisent la capacité d'action autonome des femmes » en mettant notamment en place des ateliers de menuiserie, de mécanique auto ou d'électricité. Une activité, très en vogue à l'époque, les réunit : le wendo. Cette pratique d'autodéfense féministe est très enseignée au sein des groupes et les femmes des deux associations s'y retrouvent. Des féministes hétérosexuelles de Cité d'Elles y rencontrent des adhérentes de FEE et découvrent qu'on peut être lesbiennes. « Des femmes sont tombées amoureuses entre elles et parlent encore aujourd'hui de leur entrée à Cité d'Elles comme d'une période de découverte et d'épanouissement » raconte Françoise Bagnaud.

Si Cité d'Elles, devenue plus tard A Tire d'Elles, reste une association purement locale, Femmes Entre Elles développe dès ses débuts des réseaux régionaux voire nationaux. C'est elle aussi qui œuvrera pour la visibilité lesbienne à l'occasion de la Gay Pride (aujourd'hui Marche des Fiertés ) qui devient à Rennes d'abord en 1993, puis dans d'autres villes ensuite, la Lesbian & Gay Pride. FEE va désormais s'approprier les thématiques féministes notamment autour des violences faites aux femmes et rejoindre lors des événements locaux les différentes associations de défense des droits des femmes.

Peu à peu les différences s'estompent entre les deux groupes qui partagent le même local dans les années 90 et se retrouvent dans une lutte convergente lorsque le Sida fait son apparition. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les lesbiennes se sont mobilisées sur cette cause alors que leurs groupes s'étaient constitués dans les années 70 faute de pouvoir être prises en compte dans les mouvements homosexuels où les hommes gays concentraient les pouvoirs.

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : lire Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs aux éditions La Dispute (2023)