« Comment faire pour que ce qu'on voit dans les productions culturelles parle du monde si la moitié de l'humanité n'a pas la parole ? » Cette question, c'est HF Bretagne qui la pose au moment de rendre publique sa deuxième étude chiffrée sur la place des femmes dans les arts vivants en Bretagne et de montrer notamment que seulement 20 % des œuvres représentées – théâtre, danse et musique confondus – sont signées par des femmes.

Le mouvement régional, fondé en 2013, s'est donné pour objectif de repérer les inégalités dans la culture, de proposer des outils et d'encourager les mesures politiques concrètes pour les combattre. L'enquête menée sur 74 structures de programmation et plus de 2200 spectacles ne permet pas de se réjouir. « Malgré des efforts manifestes, l'égalité réelle est loin d'être atteinte » estime HF.

 

 

 

 

diagnosticLes premiers chiffres pour la région Bretagne datent de 2014/2015. Pour la deuxième enquête sur la saison 2016/2017, dont les chiffres viennent d'être publiés, le mouvement HF Bretagne a conservé le même panel pour une comparaison plus efficace. Au total, ce sont donc 74 structures (18 labellisées, 32 intermédiaires et 24 festivals) et 2238 spectacles qui ont été analysés avec deux angles de réflexion : où sont les femmes dans les programmations ? Et où sont-elles dans les équipes permanentes ?

Avec 21 % de femmes responsables artistiques d'un spectacle (contre 17 % dans l'enquête précédente), 20 % (contre 15%) d'autrices, compositrices ou chorégraphes ou encore 18 % (contre 22%) aux postes de direction, l'égalité est loin d'être là ! « Il y a parfois une petite progression – souligne Sarah Karlikow, membre de HF et représentante du spectacle vivant en Bretagne – mais on peut aussi voir la marge de progression qui reste ».

« 80 % des œuvres sont écrites, pensées et conçues par des hommes »

Pourquoi se livrer à ce genre de calculs qui peuvent sembler laborieux ? Parce que expliquent les responsables du mouvement, « compter c'est repérer les inégalités » mais surtout « les faire reconnaître pour mieux les combattre » dans un domaine – l'art et la culture – que l'on pourrait croire plus ouvert que d'autres et, du coup, moins sujet au poids des stéréotypes.

Une façon aussi pour le monde de la culture, largement subventionné, de montrer où va et à quoi sert l'argent public. « Moins il y a d'argent, plus il y a de femmes » pointe Sarah Karlikow analysant les chiffres des scènes labellisées comme le TNB, l'Opéra ou les Centres Chorégraphiques Nationaux.

« Les chiffres de cette nouvelle étude correspondent à peu près aux chiffres nationaux » constate Marine Bachelot Nguyen, présidente de HF Bretagne. Pour elle, 20 % seulement de femmes autrices, compositrices ou chorégraphes induit une vision déformée du monde proposé par les arts vivants. « 70 à 80 % des œuvres sont écrites, pensées et conçues par des hommes. Et c'est cela qui va forger notre imaginaire - s'emporte-t-elle – ce sont les modèles qu'on va avoir pour se construire. »

Une production artistique est porteuse de sens, de sensibilité ; c'est le témoin d'une époque du passé ou de l'époque actuelle, « le regard et le point de vue des femmes n'est pas suffisamment incarné ni représenté ». Les hommes et les femmes ne sont bien sûr pas entendu-e-s comme des « créatures biologiques » mais comme des « êtres sociaux » développant des expériences, des rapports aux autres, des regards sur le monde et dit encore Marine Bachelot Nguyen « c'est tout ça qui détermine les histoires qu'on va raconter ».

« La même histoire peut arriver aux autrices d'aujourd'hui »

Au-delà des chiffres, c'est le rôle social de la culture qui est bien sûr interrogé. Et la nécessité de rester vigilants. Dans le théâtre, par exemple, il est bon de rappeler que les autrices ont existé autrefois. Pourtant, leurs pièces qui furent jouées, appréciées, parfois dans des lieux prestigieux comme la Comédie Française ont été oubliées. « On trouve dans ce théâtre des tragédies, des comédies écrites par des femmes, parfois des pièces aux accents féministes » expose la présidente de HF, se fondant sur les travaux de la chercheuse Aurore Evain. Pourtant aucune de ces pièces n'a été transmise par l'histoire, l'école ou la mémoire collective. HF Bretagne travaille entre autres à la redécouverte de ces créatrices du passé et à la valorisation de leur héritage.

« La même histoire peut arriver aux autrices d'aujourd'hui » s'inquiète Marine Bachelot Nguyen, elle-même autrice et metteure de scène de théâtre qui rappelle par ailleurs que les actrices et comédiennes peinent à trouver dans le répertoire – classique ou contemporain - des rôles intéressants non stéréotypés. D'où, l'importance, estime-t-elle d'un « répertoire écrit par des femmes peut-être plus susceptibles d'offrir des personnages féminins plus nombreux, plus diversifiés, qui présentent moins une vision fantasmée et portent des paroles féminines singulières et plurielles ».

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :
Retrouver l'intégralité des résultats de l'enquête « la place des femmes dans le spectacle vivant en Bretage, saison 2016/2017 » : ici
Et les résultats de l'enquête précédente : ici
Consulter l'étude sur la place des femmes dans les arts plastiques : ici

Connaître toutes les revendications du mouvement HF et les différentes propositions pour plus d'égalité dans la culture : ici