Corinne Lepage revendique son ancrage dans l'éducation populaire, ce mouvement qui dit-elle permet de « partager collectivement les savoirs pour transformer le monde ».

Entre collecte de récits de vie, écriture de conférences gesticulées et interprétation sur scène, elle s'attaque depuis de nombreuses années aux rapports de domination.

C'est une forme de spectacle seule-en-scène qu'elle a choisi pour sa dernière création autour du corps, présentée à Rennes dans le cadre des journées du mois de novembre sur les violences.

photoANCP

 

C'est d'abord la question du travail qui a inspiré Corinne Lepage. Issue d'une famille d'ouvrier-ère.s, très marquée par le licenciement de son père lorsqu'elle était enfant, elle a souhaité entendre des gens « de milieux très différents » s'exprimer sur leur souffrance au travail. Et a rapidement fait le lien entre les différentes dominations ou comment dit-elle encore « le capitalisme et le patriarcat sont à l’œuvre dans le travail » et développent « les mêmes mécanismes ».

Parce qu'elle a une reconnaissance de travailleuse handicapée, Corinne Lepage a très vite su également que le monde du travail n'était pas adapté à sa situation et qu'elle y rencontrerait beaucoup de violence. En fait, pense-t-elle, le monde du travail tel qu'il est proposé par les sociétés capitalistes « est fait pour peu de gens ». Constatant que ce modèle « s'effrite et se fissure » elle mise sur une réponse collective faite de récits qui diraient « quel monde enviable construire à côté ».

 

« Mon corps raconte le monde

et le monde s'imprime

sur mon corps »

 

« Je trouve ça formidable d'entendre à quel point les histoires des autres font miroir en creux ou en plein avec les nôtres » s'enthousiasme-t-elle. C'est cela aussi l'éducation populaire, passer du « je » au « nous » et c'est que Corinne Lepage propose avec son spectacle A nos corps politiques.

Influencée par ses lectures féministes dont certaines sont citées dans le spectacle - Simone de Beauvoir, Virginie Despentes, Mona Chollet, Judith Butler – ou par d'autres ouvrages notamment ceux d'Edouard Louis ou de Charlotte Puiseux, enrichie par les récits collectés auprès d'autres personnes, Corinne Lepage raconte d'abord sa propre histoire, son propre corps. « Je suis partie de l'histoire de mon corps, de ses stigmates, de ses privilèges aussi pour dire en quoi mon corps raconte le monde et en quoi le monde s'imprime sur mon corps ».

Sur son petit carnet, elle a écrit plein d'anecdotes, future matière pour son spectacle. Avec sans doute un regard particulier sur ce corps pas tout à fait comme les autres qui lui impose les chaussures plates. « Moi aussi – dit-elle sur scène – j'avais intégré l'idée qu'une femme sans talons, c'est moche ! »

Petite fille, Corinne Lepage se demandait comment on devenait femme ; quelle baguette magique allait s 'agiter au-dessus d'elle pour qu'un jour elle se réveille femme. Ce spectacle c'est aussi une façon de percer ce mystère et de constater qu'on devient femme « en fonction de l'autre, des autres, de leur approbation ou de leurs désaccords ». « J'essayais de trouver dans le regard de l'autre le chemin à suivre – constate-t-elle – et les autres étaient souvent des hommes ».

 

« Il y a aujourd'hui

une transmission des savoirs,

une histoire qui s'écrit »

 

A travers le corps, elle interroge nombre d'autres thèmes comme le genre, le sexe, la classe, la place des femmes dans l'espace public, le body positivisme et ses nouvelles injonctions, le validisme, ou encore la parole, extension du corps. Cette parole, libérée par Metoo et dont les plus jeunes semblent s'emparer désormais. Avec une limite tout de même: quelle réponse apporte-t-on à leurs mots ? « Parler c'est formidable – dit Corinne Lepage – mais quand on parle et qu'on ne nous écoute pas ou que rien ne change, c'est encore plus violent et on peut s'auto-silencier ». Malgré tout, elle veut garder espoir. « Je suis optimiste parce que je n'ai pas le choix – s'amuse-t-elle – Les jeunes générations sont tellement plus avancées que moi à leur âge ; il y a aujourd'hui une transmission des savoirs, une histoire qui s'écrit ».

« Chaque décision politique a une répercussion sur nos corps » dit encore Corinne Lepage dans son spectacle. Et elle se réjouit de constater que sa fille de neuf ans est déjà sensible à ces questions. Elle vient d'interpeller un magazine pour enfants sur la question des robes des filles qui n'ont pas de poches contrairement aux pantalons des garçons. Ne pas avoir de poches pour enfouir ses mains, être obligées d'avoir un sac pour porter ses affaires, encore une histoire de corps qui se tiennent ou de développent différemment.

« Nous sommes seules décideuses de ce qui va se passer sur notre corps » martèle Corinne Lepage en écho aux féministes des années 70 qui lui ont montré le chemin ; « mon corps, mon choix ».

Geneviève ROY

photo : Tim Hetherington