L'une suivait son grand-père sur les chantiers dès l'âge de 18 mois ; l'autre a commencé à goûter les grands crus classés avec son père à quinze ans. Des modèles qui ont compté dans les choix professionnels de Lucie Amand, présidente de l'association Les Filles du BTP, et Brigitte Desprès devenue sommelière.

Pour le club Soroptimist de Rennes, leurs parcours inspirants de femmes dans des secteurs professionnels majoritairement masculins, rappellent celui de Suzanne Noël. Médecin, pionnière de la chirurgie esthétique en France au début du 20ème siècle, elle a fondé voilà 100 ans ce réseau de « femmes au service des femmes ».

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Voilà un siècle que Suzanne Noël, médecin et chirurgienne esthétique, a fondé la section française des clubs Soroptimist venus des Etats-Unis. Un prolongement de sa vie professionnelle dédiée aux autres, en commençant par les blessés de la face de la Première Guerre Mondiale, mais aussi de ses convictions personnelles. C'est elle qui en 1923 organise une manifestation pour inciter les femmes à ne pas payer leurs impôts quand l'Etat ne leur reconnaît aucuns droits. C'est elle aussi qui, sous l'Occupation allemande, accepte de remodeler les visages de résistants recherchés par la Gestapo. Et si elle pratique la chirurgie esthétique sur toutes les femmes qui désirent modifier leur visage ou leur silhouette, elle ajuste volontiers ses tarifs pour les moins fortunées déclarant que les riches paient pour elles.

C'est ce modèle de femme engagée et déterminée que les membres du club Soroptimist de Rennes ont voulu voir dans les deux jeunes femmes invitées à l'occasion des journées du mois de mars pour une table ronde centrée sur ces métiers dits masculins où pourtant des femmes parviennent à s'épanouir.

« Au lieu d'utiliser ma force,

j'utilise mon cerveau

et je trouve une solution ! »

SoropLucie Amand et Brigitte Desprès reconnaissent que le plus difficile quand une femme cherche à trouver sa place dans un milieu professionnel majoritairement masculin, c'est d'être « prises au sérieux ». Elles sont d'accord pour dire qu'il « faut prouver deux fois plus [sa] légitimité et mettre deux fois plus d'énergie dans [ses] projets ». De l'énergie, elles n'en manquent pas, ni du recul nécessaire pour affronter les remarques sexistes inévitables et savoir prendre de la distance. Mais plus que tout, c'est la passion qui domine dans leurs témoignages.

Lucie Amand est cheffe d'une entreprise de rénovation et assure avec aisance les différentes tâches : électricité, plomberie, pose de placo, etc. Et quand ses bras sont trop courts pour soulever une cloison de 1,20m par 2,50m elle se pose pour réfléchir. « Au lieu d'utiliser ma force, j'utilise mon cerveau – raconte-t-elle – et je trouve une solution ! »

Pour elle, ce n'est pas une question de genre – d'ailleurs certains hommes ne sont pas costauds non plus – mais plutôt une question de motivation. Et, dit-elle encore, « les industriels nous aident beaucoup en développant des produits plus légers, plus ergonomiques ou en proposant de nouvelles techniques moins fatigantes ! » Des évolutions dont tout le monde profite, même les hommes du secteur.

« On touche au patrimoine

quand on touche au vin en France,

alors évidemment, je détonne ! »

Si les chiffres officiels font état de 12 à 15% de femmes travaillant dans les métiers du bâtiment et des travaux publics, Lucie Amand est fière d'appartenir au 1% de femmes présentes sur les chantiers, soit pour toute la France quelque 8000 femmes électriciennes, plombières ou peintres en bâtiment voire couvreuses ou carreleuses. Toutes les autres œuvrent dans les services administratifs ou commerciaux, sont architectes ou décoratrices.

Plus difficile de trouver des chiffres concernant les métiers du vin qui se répartissent entre différentes professions, de la vigneronne à la caviste en passant par les métiers du marketing et de la communication toujours très féminins.

Lorsque Brigitte Desprès a été formée à la sommellerie à l'école hôtelière de Dinard, après un CAP/BEP restauration, elles n'étaient que « trois nanas pour une classe de quatorze élèves ». Et même cheffe sommelière dans un palace cinq étoiles, elle a dû s'affirmer face aux clients qui demandaient à parler « au chef sommelier ». Le vin en France n'a jamais été une affaire de femmes. Aujourd'hui encore au restaurant quand un couple occupe une table c'est à monsieur que l'on fait goûter le vin, même quand c'est madame qui a choisi, même quand c'est une sommelière qui a passé la commande. Brigitte Desprès en rit mais un peu jaune tout de même.

robeduvinDans son secteur d'activité, Brigitte Desprès n'a pas choisi la facilité. « On touche au patrimoine quand on touche au vin en France, alors évidemment, je détonne ! » s'amuse-t-elle. Son entreprise, la Robe du Vin, elle l'a veut d'abord innovante. Elle concentre ses activités sur deux marchés à prendre, pense-t-elle, qu'elle veut marquer de son empreinte : le vin en canette et le vin sans alcool. En 60 ans, la consommation de vin a baissé en France de 60%. Un argument pour elle, pour chercher de nouveaux modes de consommation pour la filière. Et Brigitte Desprès regrette que les instances professionnelles restent largement sous la coupe d'hommes, souvent âgés et réticents aux changements. Elle aimerait bien faire son trou aussi dans ces sphères encore fermées aux femmes.

« On a tous.tes intérêt à ce que les femmes

investissent ces secteurs

où elles restent sous représentées »

Lucie Amand de son côté a trouvé comment rendre les femmes plus visibles. Voilà un an, elle a créé l'association Les Filles du BTP, association nationale dont le siège social est situé à Rennes, et qui compte plus d'une centaine d'adhérentes. Dans ces professions où les femmes sont souvent isolées, avec les Filles du BTP, les objectifs de Lucie Amand sont « de permettre des échanges, de créer du réseau pour partager des astuces et trouver du soutien en interne » mais aussi « de promouvoir l'image de la femme dans le bâtiment et de mettre en avant ces magnifiques métiers où elles excellent ».

fillesBTPC'est parce qu'on ne parlait pas aux filles de ces métiers techniques et que les formations courtes CAP/BEP étaient réservées à certain.e.s élèves il y a vingt ans, que Lucie Amand a pris des chemins détournés pour arriver au BTP après plus de seize ans de carrière dans le commerce. Aujourd'hui elle souhaite que les mentalités évoluent. Conférences, vidéos, interviews, rencontres en milieu scolaire... la jeune femme n'hésite pas à donner de son temps pour mieux faire connaître ces métiers et surtout toucher les jeunes générations.

Pour sa part, Brigitte Desprès insiste sur la nécessité de valoriser l'entrepreneuriat dès l'école pour faire comprendre aux plus jeunes qu'ils et elles doivent oser suivre leur passion. En conclusion de la soirée, Sylvie Chenais, secrétaire du club Soroptimist de Rennes a souligné que nous avons toutes et tous « intérêt à ce que les femmes investissent ces secteurs où elles restent sous représentées », une façon selon elle d'obtenir « plus de droits pour les femmes dans la société de demain ».

Geneviève ROY

La table ronde « Suzanne Noël et les femmes exerçant des métiers dits masculins » organisée par le club Soroptimist de Rennes avait lieu le 18 mars à la Maison Internationale de Rennes.