Se poser encore la question des « enjeux juridiques liés aux emplois précaires chez les femmes actives en 2024, ça pose question justement » estime Emilie Hubert-Le Mintier, avocate spécialiste du droit du travail.
C'est pourtant ce qu'elle a accepté de faire à la demande du Barreau de Rennes, ce 11 mars dans le cadre des journées sur les droits des femmes.
Car les chiffres le disent, en France, les emplois précaires sont du genre féminin et si des pistes pour en diminuer les conséquences existent, elles semblent peu mises en valeur. Les mentalités évoluent trop lentement constate l'avocate et les lois ne suffisent pas toujours.
62% des personnes touchées en France par la précarité professionnelle sont des femmes. Un chiffre qui en dit long sur ces inégalités qui perdurent malgré les lois successives votées depuis les années 70. Concernant les rémunérations, c'est en effet de 1972 que date la première loi sur le principe d'égalité de salaire !
La précarité professionnelle, rappelle Emilie Hubert-Le Mintier, a quasiment de façon systématique pour conséquence d'autres formes de précarité, économique, bien sûr, mais aussi liée au logement, à la santé, à l'éducation ; elle occasionne souvent un isolement social et de plus en plus des troubles psychologiques. Elle a aussi de graves conséquences au moment de la retraite. Par ailleurs, il n'est pas inutile de redire que 80% des familles monoparentales sont gérées par des femmes, que nombre d'entre elles occupent des emplois précaires et qu'elles ne sont pas les mieux armées pour négocier un salaire ou des conditions de travail, un exercice qui reste difficile pour beaucoup de femmes.
Le poids de la maternité
Qu'est-ce qu'un emploi précaire et pourquoi ces situations concernent-elle principalement les femmes ? Il s'agit sans surprise des emplois du tertiaire (76% de femmes) : enseignement, social, aide à la personne, prestations de ménage en entreprise ou chez les particuliers, prise en charge des personnes âgées ou en situation de handicap... Si ces postes sont précaires c'est parce qu'ils correspondent le plus souvent à des contrats à durée déterminée (CDD) parfois à temps partiel voire avec des horaires atypiques, l'impossibilité d'avoir deux jours de congé consécutifs et bien sûr aucune possibilité d'évolution de carrière.
La précarité est arrivée en France à la fin des années 70 suite à la crise pétrolière a encore expliqué Emilie Hubert-Le Mintier. Une période qui correspond à la fois à l'entrée massive des femmes sur le marché du travail et aux dispositions permettant aux entreprises le recours aux CDD. Les femmes occupent les postes les moins qualifiés donc les moins bien rémunérés ; elles sont rarement aux postes à responsabilité, même si les chiffres évoluent (43% de cadres aujourd'hui contre 21% en 1982) et occupent à 82% les emplois à temps partiel, soit une femme sur quatre contre un homme sur dix.
Quand elles travaillent à temps partiel, les femmes n'ont pas les mêmes motivations que les hommes. Souvent, elles ne le choisissent pas mais le subissent peut-être parce qu'elles sont « moins patientes » et qu'elles préfèrent accepter ce qui se présente alors que les hommes vont plutôt rester au chômage jusqu'à l'obtention d'un CDI. Surtout parce qu'elles privilégient encore leur vie de famille, les enfants voire les personnes âgées dépendantes. Les hommes qui travaillent à temps partiel le font le plus souvent pour des raisons de santé personnelle ou pour suivre une formation, mais très peu pour se consacrer à la garde de leurs enfants.
La maternité, évidemment, reste un obstacle dans les carrières des femmes. Encore aujourd'hui des entreprises sont réticentes à l'embauche des jeunes femmes ou des jeunes mères. « Quand on prend un congé parental, ça peut être difficile de rebondir – souligne Emilie Hubert-Le Mintier – ou de retrouver le même poste à son retour en entreprise ». Les hommes demeurent moins impliqués lors d'une naissance puisque 4% seulement prennent un congé parental !
Pour l'année 2023, c'est symboliquement le 6 novembre que les femmes ont cessé d'être payées pour leur travail. Autrement dit, la différence de salaire est telle entre elles et leurs collègues masculins que chaque année c'est comme si elles travaillaient plusieurs semaines gratuitement. « Quand on compare les mêmes temps de travail et les mêmes types de postes entre un homme et une femme il reste toujours une différence de salaire inexpliquée de l'ordre de 7 à 8% » s'indigne Emilie Hubert-Le Mintier.
Pour un meilleur respect des lois
L'avocate ne s'est pas contentée de dresser un tableau assez catastrophique de la place des femmes dans l'emploi, elle a aussi cherché des perspectives d'amélioration. Il faudrait pense-t-elle inciter davantage les pères à partager ce congé parental que seules les habitudes réservent aux femmes quand la loi, elle, ne le définit pour aucun parent en particulier. Du côté des pays voisins, elle a notamment proposé l'exemple de la Suisse où existe la possibilité de partager le temps partiel au sein du couple pour que chacun puisse à la fois travailler et consacrer du temps aux enfants. Ou encore ceux de l'Espagne et de la Finlande où les congés de paternité sont de 84 et 54 jours. En France, les dernières mesures adoptées ont fait passer le congé de paternité de 14 à 28 jours, mais seuls 7 jours restent obligatoires !
Elle propose également de sanctionner davantage le recours abusif aux CDD. « Si on est plus vigilants sur le respect du droit du travail – dit Emilie Hubert-Le Mintier – cette précarité va diminuer. » Un CDD, pour respecter la loi, doit être proposé seulement dans quelques cas très précis comme l'accroissement temporaire d'activité, un remplacement de salarié.e asbent.e ou un emploi saisonnier. S'il n'entre pas dans ces critères, le CDD peut être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée (CDI). Mais, l'avocate le reconnaît aussi « le rapport de force est déséquilibré » et la peur de perdre son emploi donc ses revenus freine généralement la dénonciation de leurs employeurs par les salariées.
Parmi les obstacles à leur évolution de carrière, si les femmes doivent se battre contre les préjugés de la société et notamment l'image négative que continue à porter une femme dite ambitieuse, elles doivent aussi lutter contre leurs propres représentations. 72% des femmes renonceraient à négocier leur salaire lors d'une embauche ou d'un entretien annuel d'évaluation si elles savent que l'entreprise a pu souffrir de la crise économique ; seuls 46% des hommes tiendront compte de ces paramètres.
En creux, on peut regretter le déficit d'estime de soi récurrent chez les femmes qui se sentent toujours moins légitimes quel que soit leur secteur d'activité et peinent à s'affirmer. 66% des femmes managers, donc en responsabilité, souffriraient encore du syndrome de l'imposteur. Comment leur faire comprendre qu'elles sont bien à leur place et qu'elles le méritent ? C'est toute la société qui doit s'interroger !
Geneviève ROY
Conférence « Femmes actives, emploi précaire : quelles perspectives ? » proposée par le Barreau de Rennes le 11 mars 2024 à la MIR