Une femme au Panthéon ? Ce ne serait que justice puisque ce monument dédié « Aux Grands Hommes ( !), La Patrie reconnaissante » bien que bâti sur la Montagne Sainte Geneviève (une femme, sainte patronne de Paris) est très loin d'illustrer la parité tellement souhaitée par de nombreux français et en particulier par les dirigeants de ce pays.

Clmence Royer
En effet ce respectable caveau républicain, s'il accueille 73 illustres personnages (dont cinq italiens et un suisse) ne compte parmi cet aréopage de personnalités honorées par la République que deux femmes. Et encore. Si Marie Curie y figure comme scientifique, la seconde, Sophie Berthelot, ne doit sa place qu'au fait qu'elle était la femme de Marcellin Berthelot, chimiste et homme politique entre autres, et que ce dernier, par amour, ne lui survécut qu'une heure. Bonne fille, la Mère Patrie ne souhaita pas séparer les deux conjoints.


Donc il convient que le prochain colocataire du célèbre mausolée soit « une » colocataire ! C'est, dit-on, le souhait du Président de la République auquel incombe, et à lui seul, le choix des élus à la haute distinction post mortem. Les médias étant ce qu'ils sont chacun y est allé de son petit sondage afin de savoir quelle femme les Français souhaitaient voir rejoindre Marie et Sophie afin de féminiser un peu plus la glorieuse éternité républicaine.


Parmi les nombreux noms évoqués celui d'une Nantaise à qui la Ville de Rennes dédia une rue après délibération du Conseil Municipal le 24 juillet 1923 : Clémence Royer.


Clémence naît le 21 avril 1830. Philosophe et scientifique c'est une figure marquante du Féminisme et de la Libre Pensée. Son père était officier royaliste et son grand-père maternel capitaine de vaisseau malouin. C'est dans un couvent manceau où l'ont placée ses parents qu'elle reçoit une éducation religieuse. A la mort de son père, pour subvenir à ses besoins elle travaille comme gouvernante en Angleterre puis en France. Elle profite des bibliothèques de ses employeurs pour lire avec passion des ouvrages philosophiques. « Tout ce que je sais je l'ai dérobé de haute lutte. Et j'ai dû oublier tout ce qu'on m'avait enseigné pour tout apprendre par moi-même » se plait-elle à dire. Oublié l'enseignement religieux, oublié le légitimisme de papa et de maman. Républicaine au lendemain de la révolution de février 1848 elle devient farouchement anticléricale et antimonarchiste.

Traductrice de Darwin

Intellectuelle autodidacte elle fait montre d'un éclectisme impressionnant. Elle s'intéresse à l'anthropologie, c'est la première femme à être admise à la société d'anthropologie de Paris. Elle se passionne pour l'économie politique, la philosophie, la biologie. En 1860 elle s'installe en Suisse près de Lausanne. Elle rencontre l'économiste Pascal Duprat avec lequel elle vivra en union libre. Ensemble ils auront un fils. Elle donne des cours de logique mathématique, discipline qui se donne pour objet l'étude des mathématiques comme langage.


En 1862 Clémence Royer apprend que Charles Darwin cherche un traducteur français pour son œuvre L'Origine des espèces. Elle lui propose ses services. Ainsi elle introduit en France le darwinisme. Toutefois elle rédige une préface à cet ouvrage dans laquelle elle affiche avec violence son opposition aux croyances religieuses et au christianisme. Elle argumente en faveur de la sélection naturelle aux races humaines avec des propositions pour le moins radicales et expéditives : « Un seul moyen d'empêcher les fous, les châtrer ou les déporter sur une ile, problème qui ne peut être résolu avec notre sensiblerie actuelle » écrit-elle entre autres.

Journaliste et maçonne

Mais Clémence c'est pour beaucoup une des plus grandes figures du féminisme militant. Bien avant Simone de Beauvoir – autre postulante à la gloire posthume de la République – elle dit : « La femme devient, mais elle n'est pas ». Elle cofonde la première obédience maçonnique mixte : Le Droit Humain. Elle milite pour l'instruction des femmes, collabore activement à La Fronde journal crée par Marguerite Durand et se lie d'amitié avec Séverine, première femme française patronne de presse.


Sans ressources après la disparition de Pascal Deuprat elle finit ses jours en maison de retraite grâce au soutien de mouvements féministes. Elle meurt à Neuilly-sur-Seine le 6 février 1902. Elle a 72 ans.


Sainte laïque, autodidacte de génie, pourfendeure du machisme et de l'inégalité des sexes, chantre du féminisme pour les uns, eugéniste détestable précurseure de théories racistes pour les autres, Clémence Royer ne laisse personne indifférent. Si le choix du Président de la République se portait sur elle nul doute que pourrait alors naître une violente polémique entre adversaires et partisans de Clémence.


Philippe KLEIN


Pour en savoir plus sur Clémence Royer :
Clémence Royer, l'intrépide de Aline Demars – éd. L'Harmattan (2005)
Clémence Royer, philosophe et femme de sciences de Geneviève Fraisse – éd. La Découverte (1984 – réédité en 2002)