Expomorgane

 Quand elle danse dans la rue, qu'elle accompagne la sortie des écoles au quartier du Blosne, elle s'habille de couleurs vives.

« C'est important – dit-elle – parce que le brun, le beige et le bleu marine prennent de plus en plus de place ».

Alors pour sa compagnie de danse, Morgane Rey a eu envie dès le début de jouer avec les rouges, les verts, les bleus...

Un peu comme lorsqu'elle rhabille sa grand-mère sur les vieilles photos en noir et blanc découvertes dans les archives familiales.

Ses collages sont exposés à Rennes jusqu'au 15 octobre. Une façon pour elle de rendre hommage à cette femme béninoise qui l'inspire dans toutes ses créations.

 

Morgane Rey, danseuse et chorégraphe, fait aussi des collages depuis « 35 ans à peu près ». L'âge de la compagnie Kouliballets qu'elle a créé à Rennes. Un père originaire du Bénin, une mère Bretonne, son histoire de métissage est ancré dans une longue lignée familiale. « Ça remonte à plusieurs générations le métissage, chez nous » explique-t-elle rappelant des branches familiales aux couleurs multiples, Portugaises, Françaises et Béninoises de l'époque où le pays s'appelait encore le Dahomey.

« Là-dedans – dit-elle encore – il y a des colonisés et des colonisateurs ». Une histoire qui peut paraître complexe et qui pourtant ne semble pas avoir posé de véritables problèmes. « On s'en sort pas mal – s'amuse Morgane – parce qu'en fait on a une lignée portugaise et les Portugais se mariaient avec leurs femmes dahoméennes, ils reconnaissaient leurs enfants et leur donnaient une éducation contrairement aux Français ».

En France, estime-t-elle, on parle de la colonisation comme de quelque chose de grave ; dans sa famille les préoccupations touchaient plus les différences de rang social que de couleurs de peau. Quand ses parents se sont mariés, ils n'ont pas eu à affronter leurs propres familles mais plutôt le regard de la société qui avait encore du mal à accepter les unions mixtes au début des années 60. Très tôt, elle a appris qu'elle n'avait pas à choisir entre deux cultures, qu'elle portait les deux.

 

« J'ai beaucoup d'admiration pour ma grand-mère.
C'est un modèle de dignité et de ténacité ;
elle fait partie des ferments de ma création »

 

Au cœur de cette famille, le personnage central qui dès son plus jeune âge a marqué Morgane, était et reste encore sa grand-mère paternelle, née à la fin du 19ème siècle, une époque où le roi du Dahomey avait encore un escadron d'amazones pour le protéger. Morgane se souvient qu'elle avait une quinzaine d'années et qu'on racontait qu'une des dernières amazones vivait encore au nord du pays. « Le Dahomey est un pays de souche matriarcale – s'enthousiasme-t-elle – et quoi qu'on fasse, cette ascendance-là, elle est là ! J'ai quand même grandi dans le pays des amazones et tu n'évolues pas pareil quand tu as été dans cet environnement-là ; c'est comme des petites lumières qui viennent imprimer ta rétine ! »

En tout cas, pour la petite fille qu'elle était comme pour la femme qu'elle est devenue, la lumière la plus brillante reste sans conteste cette grand-mère qu'elle admirait enfant. Elle la retrouve aujourd'hui sur les vieux clichés jaunis, seule, debout au milieu des autres, « toujours très classe, en souliers vernis » en tailleurs et jamais en pagne, marquant ainsi son appartenance sociale.

MorganeMorgane est très fière près d'un siècle plus tard de rappeler que sa grand-mère, Antoinette Rey, fut la première femme sténo-dactylo du Bénin et qu'elle a toujours œuvré pour que tous ses enfants fassent des études et notamment ses filles. Si on ne parlait pas de féminisme à l'époque, Morgane y voit aujourd'hui un modèle inspirant ; « le ton était donné » sourit-elle.

« J'ai beaucoup d'admiration pour ma grand-mère – confie-t-elle – elle n'a jamais lâché l'affaire. C'est un modèle de dignité et de ténacité ; elle fait partie des ferments de ma création depuis le début de la compagnie. Je n'ai quasiment pas de souvenirs de mon grand-père, il est là dans le fond, mais c'est ma grand-mère qui est toujours devant, qui prend les décisions ! »

De cette femme puissante, elle garde aussi le souvenir de la bonté et de la bienveillance ; « elle savait donner des occasions aux autres ; elle était croyante et priait beaucoup pour les autres et chaque dimanche il y avait une assiette de plus sur la table ». La petite fille comptait alors les couverts et cherchait dans l'assemblée celle ou celui qui arriverait en retard. Pourtant, tout le monde était présent. L'assiette supplémentaire attendait l'invité du dernier moment, le mendiant de passage que l'on saurait accueillir.

 

« Ça fait quarante-huit ans qu'elle est morte
et je persiste à faire qu'elle soit encore là ;
pour moi, la porosité entre les morts
et les vivants est très fine »

 

Lorsqu'elle a découvert de vieilles photos de sa famille paternelle, témoignages des années 1930, Morgane a tout de suite été inspirée par ces images retrouvées de son aïeule. Une façon aussi pour elle de faire un travail sur son histoire familiale et sur le post-colonialisme. Et le sentiment de devoir rendre quelque chose à ce passé lointain. « Je me suis dit : il faut que je l'habille, qu'elle soit belle, parce que tout le monde va la regarder et ça me faisait plaisir que tout le monde regarde ma grand-mère. Une femme au milieu de monde qui est enfin regardée à la hauteur de ce qu'elle a fait et de ce qu'elle était pour les autres ».

Et c'est évidemment avec des couleurs que l'artiste a redonné vie aux vieilles photos. « Je les ai rhabillé avec des couleurs un peu plus gaies, je les ai ramenés dans un monde vraiment africain » dit-elle en commentant les grands formats exposés aux murs du salon de thé culturel du quartier Sainte-Thérèse à Rennes qui lui a ouvert ses portes.

Morgane1Du jaune, du vert, des tissus bigarrés qu'elle a pris soin de découper et d'assembler. Comme si elle pouvait près de cinquante plus tard faire pour sa grand-mère cette statue dont elle rêvait à dix ans, le jour de l'enterrement de la vieille dame. Regardant la statue de la Vierge au fond de l'église, Morgane avait pensé que sa grand-mère en mériterait bien une aussi.

« Ça fait quarante-huit ans qu'elle est morte et je persiste à faire qu'elle soit encore là – défend Morgane – pour moi, la porosité entre les morts et les vivants est très fine et je crois que l'énergie des gens continue à nous accompagner et à nous aider quand ça ne va pas ».

Alors depuis plus de trente ans, Antoinette accompagne Morgane dans ses créations. La danseuse en tenue colorée retrouve aujourd'hui la vieille dame ; on repère ainsi la première quand elle danse dans la rue, militant pour que les femmes trouvent leur juste place dans l'espace public ; on voit mieux la seconde au milieu des collages, pivot d'une famille élargie.

« Ça lumineux ; ça donne une autre vision de la famille » a commenté Léa, la fille de Morgane, devant les collages. Le lien est fait entre les générations, entre les femmes et entre les cultures.

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : voir l'exposition « Dialoguer avec les ancêtres, interroger le futur du passé » - collages de Morgane Rey jusqu'au 15 octobre au salon de thé culturel Références Electriques, place du Souvenir à Rennes.