Avec ses tatouages, on se sent plus fort.e !
Pour Marie Charuel, ils représentent un « outil d'estime de soi » et viennent aider à dépasser les cicatrices physiques comme les cicatrices émotionnelles.
Loin de l'image véhiculée longtemps par ces dessins sur la peau, celle de gros durs plus ou moins membres d'un gang, les tatouages ont aujourd'hui trouvé une fonction réparatrice.
C'est en tout cas la conviction de l'association les Marie-Rose, à Rennes, qui propose ainsi à des personnes en souffrance de se réapproprier leur corps.
Il y a eu des postes dans la communication ou dans le graphisme, « des choses assez différentes » pendant assez longtemps, puis est venue l'heure du changement. Pour sa reconversion professionnelle, Marie Charuel s'est d'abord entraînée sur des pamplemousses, des oranges et de la peau de cochon ; le boucher de son quartier fut son premier fournisseur. C'est le côté anecdotique d'une histoire qui est loin de l'être totalement. Si la jeune femme a décidé un jour de devenir tatoueuse c'était dans le but d'aider les gens à se réparer. Désormais, elle se présente comme tatoueuse solidaire au sein de l'association qu'elle a co-fondée à Rennes.
Le petit local des Marie-Rose, presque anonyme, se cache derrière la gare, à quelques pas du TNB. Mais dès l'automne, le salon de tatouage se transportera dans le quartier de Cleunay pour donner toute sa mesure au projet que deux femmes ont tissé ensemble. Lorsque leurs chemins se sont croisés, Marie Charuel et Marie Disserbo ont tout de suite su qu'elles avaient beaucoup en commun.
La première avait découvert, suite à un deuil difficile, la dimension thérapeutique du tatouage. La seconde rêvait d'un lieu non médicalisé pour accueillir et accompagner des personnes comme elle, guéries du cancer du sein. Ensemble, elles ont tricoté leurs envies et leurs idées pour créer l'association les Marie-Rose. Leur rencontre a permis à leurs projets personnels d'évoluer et c'est désormais d'un lieu d'accompagnement élargi à tous les traumatismes qu'il est question.
Un « pot commun » pour les personnes en précarité
Depuis août 2019, le salon a ouvert ses portes ; grâce aux nouveaux locaux qui l'abriteront dans quelques mois, c'est tout un collectif de personnes ressources, de la sophrologue à l'art-thérapeute, du coach sportif au médecin en passant par la diététicienne ou la psychologue, qui seront présentes ; on y trouvera aussi des ressources variées : une bibliothèque, des temps d'échanges et de rencontres, des conférences, etc. « Un seul et même lieu pour un maximum d'informations et d'interlocuteurs » résume Marie Charuel.
Tatouage plaisir ou tatouage thérapeutique, tout est permis avec les Marie-Rose. Mais on n'oublie pas la dimension solidaire ; chaque prestation vient alimenter un « pot commun » qui sert à financer des tatouages - et bientôt d'autres accompagnements – pour des personnes en précarité.
Chacun.e a ses raisons propres pour se faire tatouer. Marie Charuel ne veut pas nécessairement les connaître ; « certaines personnes ont besoin d'en parler, d'autres non – dit-elle – Moi, je n'ai pas besoin que tout.e.s me racontent leur trauma. Ensemble on évoque la taille du dessin, l'endroit du corps à tatouer, le motif et on construit le projet ; j'adapte mon style, minimaliste, plutôt épuré, à leurs envies ». Toutes et tous, en tout cas, cherchent à se réapproprier leur corps ou leur vie. « On peut être traumatisé psychologiquement et passer par le corps pour se guérir » dit-elle.
Derrière chaque tatouage, une histoire
« Le tatouage permet d'aller mieux dans sa tête et donc mieux dans sa vie à tous les niveaux, socialement, sentimentalement et même sexuellement – estime Marie Charuel – on redécouvre son corps, on le ressent à nouveau ».
Et les exemples ne lui manquent pas : hommage à un frère qui s'est suicidé et qu'une jeune fille veut garder « sur elle » ; retour vers des origines mal connues pour cette autre jeune femme adoptée à quelques mois par une famille française qui veut son île natale de Madagascar tatouée sur la peau avant d'entamer son premier voyage là-bas, « pansements » à apposer sur des corps meurtris de femmes victimes de violences conjugales et/ou sexuelles ; habillage de cicatrices laissées par des accidents ou des opérations chirurgicales, etc. Parfois, le tatouage devient presque une addiction tant il fait du bien ; « j'ai le sentiment que rares sont les personnes qui s'arrêtent à un seul » reconnaît Marie Charuel.
Si le nom de l'association a été pensé au départ en lien avec le cancer du sein, force est de constater que les Marie-Rose vont plus loin. « Notre accompagnement est ouvert à tous et toutes » plaident aujourd'hui les deux jeunes femmes qui souhaitent s'écarter un peu de leur intention originelle. Les personnes qu'elles reçoivent, en majorité des femmes il est vrai, ont entre 20 et 50 ans et des motivations de toutes sortes. Et Marie Charuel ne veut pas croire qu'il s'agisse d'une mode. En revanche, elle met en avant l'importance d'un acte décidé, et non pas subi, par lequel la personne devient actrice et reprend son corps en main.
« Il y a eu une libération du tatouage depuis dix quinze ans – dit-elle – avant c'était assez sectaire ; mais le public des Marie-Rose n'est pas du tout dans cet effet de mode. C'est plus de l'ordre de la symbolique ; derrière chaque tatouage, il y a une histoire ». Et un chemin de guérison.
Geneviève ROY