« J'ai aimé écrire à partir du moment où j'ai su écrire ; la cuisine, c'est pareil, c'est là depuis toujours ».

Déborah Ribeiro aurait eu du mal à choisir entre ses deux passions ; alors, elle a trouvé un moyen original de les combiner. Avec Papilles et Papiers, elle met à l’œuvre avec efficacité ce qu'elle aime et ce qu'elle sait faire : derrière les fourneaux avant le repas et sur scène pendant que les convives dégustent sa cuisine métissée.

Une façon pour elle, de lutter contre ce qu'elle déteste le plus : la monotonie.

Deborah

 

Lorsque Déborah Ribeiro – qu'on appelle aussi Déb'bo – arrive à Rennes en 2001 c'est pour y suivre des études à l'école des Beaux-Arts. L'option communication qu'elle a choisie lui permet de travailler avec les mots mais aussi avec ses origines.

« J'ai beaucoup questionné les enjeux du métissage – dit-elle – un sujet qui revient dans mes écrits poétiques mais aussi qui est la base de ma cuisine ». Comment pourrait-il en être autrement avec un père qui partage ses racines entre le Cap Vert et la Guadeloupe et une mère « moitié Vietnamienne, moitié Sénégalo-Suisse ! »

Déborah, elle, est née et a grandi au Sénégal, dans un quartier de Dakar riche d'une forte communauté libanaise. C'est tout cet héritage culinaire auquel s'ajoutent des influences venues de Louisiane dont elle s'empare pour les transformer à sa sauce ; « ça ressemble à ce qui me constitue » résume-t-elle.

Une créativité qui s'apprend en famille

« Je définis ma cuisine comme créolisée, dans le sens d'un métissage imprévisible » s'amuse Déborah ajoutant que désormais elle peut y ajouter une touche bretonne. « Ce n'est pas clairement revendiqué dans mes recettes – explique-t-elle – mais la Bretagne est là puisque tous les ingrédients frais que j'utilise - viandes, poissons, légumes - sont locaux ».

Au départ, la cuisine pour Déborah c'est d'abord un amusement. « J'ai toujours traîné dans la cuisine - se souvient-elle – Un de mes jeux préférés était de préparer l'apéro mais j'avais un deal avec ma maman, je ne pouvais utiliser que les restes au cas où il y aurait des ratés ».

Deborah2Très tôt, elle apprend en famille « des recettes traditionnelles mais de plein de traditions différentes » et elle commence surtout à inventer. « La créativité – dit-elle encore – est mon moteur en tout ! » Dans les arts plastiques qu'elle découvre très tôt, elle met de la poésie ; dans sa cuisine elle « travaille les couleurs et invente des recettes à base de jeux de mots ».

Des assiettes de « poèmes à manger »

C'est d'ailleurs par les mots que Déborah entame sa carrière en France. Comédienne et poète, elle en arrive assez rapidement à avoir envie d'écrire son propre spectacle. Et tout naturellement, c'est son rapport à la nourriture qui va l'inspirer.

D'abord un texte qu'elle qualifie aujourd'hui « d'humoristico-érotique sur une métaphore de l'esquimau au chocolat » puis tout un spectacle intitulé déjà Papilles et Papiers, comme son entreprise aujourd'hui ; elle s'y régale avec le vocabulaire culinaire pour évoquer des sujets plus sérieux comme les relations humaines, l'amour parfois même la place des femmes dans la société. « J'y questionne – dit-elle – le patrimoine culinaire qui le plus souvent est en fait un matrimoine puisqu'il se transmet par les femmes ».

Poursuivant son analogie entre poésie et gastronomie, c'est dans des restaurants que Déborah présente son spectacle, faisant des chef.fe.s qui l'accueillent ses complices. « Pour chaque poème - explique-t-elle - je détermine des indices culinaires, un ingrédient, une texture, une couleur – par exemple : rouge et glacé - et c'est au cuisinier ou à la cuisinière de créer sa propre illustration » . C'est ce qu'elle appelle ses « poèmes à manger ».

Poète en tablier et « cuisinière nomade »

Peu à peu, Déborah ne se satisfait plus de sa place sur scène et décide de prendre aussi celle qui l'attire derrière les fourneaux. « Mon ennemie c'est la monotonie » dit celle qui veut sans cesse être dans la recherche et l'amusement. Cuisiner est devenu son métier mais elle continue à proposer des repas-spectacles dont elle assure les deux volets : « poésie gourmande et cuisine poétique ».

logopapillesDes allers-retours entre salle et cuisine qui la comblent, elle qui se présente comme une « cuisinière nomade » puisqu'elle s'adapte aux situations ; salles de location, cuisines de particuliers, entreprises, structures culturelles... c'est elle qui va vers les convives. Comme elle le fait cet été, jusqu'en septembre, pour une troisième saison en résidence dans un bistrot rennais.

On imagine volontiers sa cuisine colorée comme ses mots, un brin épicée comme son humour « parfois grivois ». Elle écrit non « pas pour être lue mais pour être entendue », elle cuisine pour être dégustée, car chez elle, peut-on lire sur son site « les cocottes ne sont pas en papier ».

 

Geneviève ROY

Photo n°2 - ©Claudine_Odette_Coignard