Marie-Laure Cloarec était d'abord partie pour « sauver la planète » puis elle a décidé de se consacrer à sa deuxième passion : le théâtre.
Après une formation au Québec et une rencontre déterminante, elle est devenue clowne. Mais un clown comme on en fait aujourd'hui, sans nez rouge.
Elle définit son travail comme « le croisement de la comédienne et du clown à l'endroit de la poésie ».
Formée à l'école du mime, elle en a gardé les mouvements amples ; elle a su construire avec des textes personnels « délicats » un véritable univers.
Ce soir-là dans les couloirs de l'école de danse de Chantepie, une invitée surprise sème le trouble. Etonnés, intimidés dans un premier temps, les enfants se laissent apprivoiser et bientôt les rires fusent. L'étrange silhouette longiligne aux pieds nus distribue des petits papiers. On les consulte en silence puis on les partage. « Je suis l'enfant du talus » lit une petite fille. « On est au fond des yeux » déchiffre sa copine qui ne sait pas si elle doit en rire.
Drôles de messages qu'on ne comprend pas vraiment mais qu'on garde précieusement au fond de sa poche ou au creux de la main. On croit presque avoir rêvé. Un clown ? Oui, sans doute à cause du maquillage, mais un clown différent.
« Etre clown,
ce n'est pas un choix que l'on fait,
c'est quelque chose qui advient »
« J'ai fait un premier choix qui était de me former en tant qu'écologue » raconte Marie-Laure Cloarec quand on évoque son parcours. « Il fallait sauver la planète ! » dit-elle se souvenant de ses enthousiasmes d'adolescente. Mais la jeune femme a une autre passion qui devient de plus en plus exigeante : le théâtre. Il faut faire un choix et Marie-Laure décide de quitter le poste d'ingénieure-écologue qu'elle occupait depuis cinq ans.
Formée au Québec, elle y apprend le théâtre d'une façon « plus corporelle » qu'en France. Un travail gestuel qui la prépare sans qu'elle le sache encore à sa future rencontre dès son retour en France avec une femme-clowne, Nathalie Tarlet. Avec cette ancienne élève d'Annie Fratellini la voilà partie en stage à Quessoy dans les Côtes d'Armor. « Il y a un petit mystère dans le milieu artistique qui plane autour du clown – dit-elle aujourd'hui – on prétend que devenir clown n'est pas un choix que l'on fait mais quelque chose qui advient. C'est un peu ce qui s'est passé pour moi. Je ne connaissais pas du tout le clown, je suis tombée dedans ! »
Très rapidement, Marie-Laure se rend compte qu'elle fait rire. « Je ne comprenais pas pourquoi – dit-elle – mais ça marchait ! » A l'issue du stage, Nathalie Tarlet lui propose d'intégrer sa compagnie. « C'était comme un clin d'œil du destin – dit-elle – une petite révélation de la vie. Je crois finalement que pas mal des choses qui m'étaient arrivées devaient être animées par ce personnage qui se cachait quelque part en moi. »
Commencent alors les longues séances de travail, car faire rire n'est pas si facile. « Il faut reproduire ce qui a provoqué le rire. C'est parfois un travail énorme de retrouver les sensations premières de l'instant avec le public. » Il faut aussi accepter l'image du clown. Marie-Laure commence par porter un nez, ce « plus petit masque du monde » derrière lequel se cache l'artiste. « C'est quand même la patate au milieu de la figure – analyse-t-elle – il y a une forme de ridicule et l'apprentissage passe d'abord par l'acceptation de ce ridicule. »
« Pour que le personnage existe,
il faut que des émotions
se connectent »
Puis, Marie-Laure fabrique son personnage. Et comme elle est femme, elle décide d'en jouer. « J'ai souhaité prendre quelques chemins de traverse – explique-t-elle – pour réinterroger l'image de la femme à travers le clown. Me moquer de moi-même me permettait de remettre en question les images du féminin. » Hélas, cette caricature destinée à pointer du doigt les images stéréotypées n'est pas toujours comprise et parfois même fait rire au premier degré !
Très intéressée par « les écritures », la jeune femme va notamment voir du côté du Québec où la poétesse Hélène Monette l'attire. Mais c'est le « flop ». « Ça ne marchait pas du tout – dit-elle – il a fallu accepter de refaire le point zéro et de trouver autre chose. »
Ce sera sa propre écriture. Entre mime et clown, Marie-Laure invente son propre univers et son propre personnage : un clown sans nez rouge. « On n'est plus dans la même nature de rire – dit-elle – on est dans une forme de délicatesse. »
D'ailleurs, faire rire à tout prix n'est pas l'objectif de ce nouveau clown. Sur scène comme en déambulation dans la rue, il est d'abord en dialogue avec le public et porte en lui le pouvoir de l'émotion. « Le rire n'est plus aussi central – explique Marie-Laure – ce qui est important c'est de toucher. Pour que le personnage du clown existe, il faut qu'un lien se crée avec le public, que des émotions se connectent ! »
S'adressant tour à tour à un public d'adultes et d'enfants (1), Marie-Laure souligne pourtant que les enfants ont souvent peur des clowns. « Les plus petits – dit-elle – qui prennent le personnage comme un être qui existe pleinement et non comme une femme qui se maquille, peuvent même pleurer. » Pour les plus grands, la perception est différente, le clown devient « une part d'enfance retrouvée dans sa naïveté, dans ce regard qui découvre tout pour la première fois. » Une façon d'être « à côté » qui lui permet de « regarder la réalité sous un autre angle, dans son absurdité, et de déjouer les codes sociaux. »
« Etre pieds nus,
c'est être en contact direct
avec cette Terre qui nous supporte »
Si de plus en plus de femmes se sont lancées depuis une vingtaine d'années dans cette carrière de clown autrefois très masculine, Marie-Laure pense que c'est toujours plus difficile pour elles. « C'est une question de réseau – dit-elle – il est plus difficile de se diffuser quand on est une femme. Mais je me bats pour exister, pour rester sur la scène artistique et y avoir ma place ! » Celle qui fut d'abord metteure en scène a choisi de s'entourer d'une équipe pour concevoir ses spectacles au sein de la compagnie A Vue de Nez, car si la création commence par un travail d'écriture solitaire elle a besoin un moment d'un regard extérieur.
Marie-Laure ne sait pas pourquoi la poésie a pris une telle place dans sa création. Sans doute parce que c'est ce qu'elle portait en elle. Comme les questions d'environnement qui s'imposent finalement en filigrane. « Ce n'est pas présent de manière centrale – se défend-elle – mais il y a toujours une petite part de ça. J'ai toujours ce souci d'interroger le lien au vivant à travers mon écriture. C'est une forme de philosophie ou de relation à la vie. »
Son personnage marche pieds nus et dit-elle « ce n'est pas anodin. Etre pieds nus, c'est être à un endroit de fragilité, de contact direct du corps avec cette Terre qui nous supporte ; ça parle du lien fragile qui nous relie au vivant. »
Dans les couloirs de l'école de danse, les petites filles aussi trottinent sans chaussures. Même celles qui ne savent pas encore bien lire sont heureuses de montrer leurs petits bouts de papier aux parents à la fin du cours. « Je suis l'enfant du talus ». Drôle de clowne !
Geneviève ROY
1 - Les différents spectacles de Marie-Laure Cloarec sont conçus soit pour « tout public » soit spécifiquement pour les enfants comme « La nuit de l'escargot qui luit » à partir de 6 ans ou « Mes mots sont dans l'oiseau » à partir de 4 ans.