Il a beaucoup été question de formation lors de la journée proposée à l'Université Rennes 2 début juillet. Journée qui clôturait le cycle 2015/2016 d'études sur le genre et intitulée cette année le travail des femmes en temps de crise.
Selon les termes de Fanny Bugnon, responsable scientifique du diplôme interuniversitaire numérique, il s'agissait de s'interroger sur « les évolutions du travail et de l'emploi féminin en temps de crise, du début du 20ème siècle à la période actuelle marquée par les effets de la mondialisation néolibérale en France et en Bretagne ».
S'appuyant sur les exemples concrets de la filière agroalimentaire – Doux et Gad – syndicaliste, sociologue, économiste et bien sûr représentant-e-s de la région et de l'Etat, se sont succédé pour tenter de comprendre quelles inégalités sont en jeu pour les femmes lorsque l'emploi fait défaut.
Olivier Le Bras a longuement évoqué le cas des abattoirs de Lampaul-Guimiliau. L'ancien délégué syndical a rappelé que jusqu'aux années 90, l'entreprise Gad était majoritairement masculine. « Le service de la découpe, le plus gros de l'entreprise, comptait environ 100 personnes en 1995 dont seulement une femme – s'est-il souvenu – En 2013, avant la fermeture, sur 150 personnes dans le service, il y avait une quarantaine de femmes. » Des femmes entrées souvent grâce à la mise en place des trente-cinq heures et à une volonté affichée, parfois contre l'avis des chefs de services, d'embaucher davantage de main d'œuvre féminine.
Des femmes pour canaliser les colères lors des manifestations
Anne Guillou est sociologue ; son champ d'études est plutôt le monde rural, mais c'est justement à cause de leur implantation proche des lieux de production qu'elle s'est penchée sur les industries agroalimentaires. « L'abattage des porcs - dit-elle – c'est une affaire d'hommes. Dans les usines, on a une culture masculine et pour les femmes, ce n'est pas un lieu auquel on aspire. Elles y vont quand il y a urgence à trouver un revenu et c'est toujours un choix par défaut. En attendant autre chose... »
« J'ai entendu de tout sur le fait qu'on ne pouvait pas employer les femmes dans ces usines : c'était trop physique, trop compliqué, les horaires étaient atypiques, etc. » rappelle encore Olivier Le Bras qui précise tout de même : « elles sont entrées en production, mais n'ont jamais eu accès aux postes à responsabilité ». Pour une direction de vingt personnes ; aucune femme ; pour un total de cinquante agents de maîtrise, une seule femme et encore pour un service exclusivement féminin. En revanche pour celui qui a lutté toute une année contre la fermeture de l'entreprise, la présence des femmes a permis « un conflit assez atypique ». C'est en effet grâce à elles, estime-t-il, qu'aucun débordement n'est venu ternir le mouvement social. « Elles comprenaient – dit-il – que ce qu'on recherchait c'était une image positive et elles ont su canaliser les colères. »
Pourtant, à l'heure du reclassement, les choses sont toujours plus difficiles pour les femmes notamment celles qui se risqueraient à vouloir « casser un peu les codes ». Et si pour les hommes, toutes les formations semblent ouvertes, pour leurs collègues féminines, le nombre de filières proposées restent réduites se limitant le plus souvent aux services à la personne. Ce que déplore Olivier Le Bras estimant que « le licenciement est toujours un traumatisme ; c'est un drame mais qui peut devenir une chance s'il permet d'accéder à un emploi plus intéressant ».
Entrées chez Doux par hasard, elles avaient été « tirées au sort »
Isabelle Guéguen, de la scop Perfégal, ne peut qu'approuver les propos du syndicaliste. Celle qui a accompagné le reclassement des ex-salariées de l'entreprise Doux insiste sur l'importance de pouvoir travailler sur des données sexuées afin de mieux répondre aux besoins des personnes. A l'heure du reclassement, les chiffres « officiels » annonçaient que 60% des ex-employé-e-s avaient retrouvé du travail. Mais en regardant de plus près, on pouvait s'apercevoir qu'en réalité 72% des hommes étaient à nouveau au travail contre 53% des femmes !
« Historiquement, dans la volaille – dit-elle - les femmes ont toujours été très présentes. Chez Doux Frais, elles représentaient 66% des emplois. » Mais, si elles étaient plus nombreuses que les hommes, elles étaient aussi plus âgées et moins formées ; 64% avaient plus de cinquante-cinq ans (contre 48% des hommes) et des parcours professionnels particuliers.
« Ces femmes de cinquante ans et plus étaient rentrées un jour par hasard chez Doux » raconte Isabelle Guéguen. A l'époque, certaines avaient simplement déposé leur nom dans une corbeille à papier et avaient été « tirées au sort ». Trente-cinq ans plus tard, elles étaient toujours là, cantonnées à des postes répétitifs où on leur demandait d'exécuter une tâche unique et de penser le moins possible ! Sans aucune polyvalence professionnelle, il était difficile pour elles de se projeter dans un nouvel emploi voire un nouveau métier. L'image qu'elles renvoyaient à l'extérieur de l'entreprise était celle de « femmes dignes, courageuses et travailleuses, mais cassées et non qualifiées ».
Les emplois disparaissent, pas les gens
La question que pose l'exemple de l'entreprise Doux – et de l'agroalimentaire en général – est bien celle de la formation. Formation initiale mais aussi continue bien sûr. « A partir du moment où des aides financières sont accordées aux entreprises – estime Isabelle Guéguen – on devrait avoir une exigence en termes de plan de formation et notamment pour les personnes les moins qualifiées à l'embauche. »
« On ne peut sans doute pas empêcher, en tant que région, des procédures de licenciement collectif - assure pour sa part Anne Patault, vice-présidente de la région Bretagne, en charge de l'égalité et de l'innovation sociale – mais on dispose d'un certain nombre d'outils pour aider les entreprises. Et la qualification est une des manières de faire en sorte que ces personnes se sentent moins démunies. Quand on rentre dans une entreprise, la messe n'est pas dite. Nous devons faire comprendre aux entrepreneurs qu'ils ont des responsabilités. »
Pour l'élue régionale, il est important de pouvoir se former tout au long de sa vie. Et de savoir anticiper. D'ailleurs du côté de Perfégal, on a pu constater que les femmes étaient beaucoup plus attirées par les formations : 31% contre 11% pour les hommes. « 50% des emplois de demain ne sont pas encore créés aujourd'hui – dit Isabelle Guéguen – des emplois vont disparaître, l'important c'est que les gens ne disparaissent pas avec ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin sur le conflit des abattoirs Gad : Olivier Le Bras et Anne Guillou ont signé un livre, "Le visage des Gad", sur le combat social de 2013.