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Il existe un lien très fort entre Olivier Chasle et le milieu hospitalier. Quand il a rencontré son épouse, elle débutait des études de médecine. Elle fait partie aujourd'hui des sept pédiatres de son documentaire Nuit Blanche.

A force de les écouter, elle et ses collègues, échanger sur leur métier, leurs joies et leurs difficultés, il a eu envie de passer quelques nuits auprès d'elles au service des urgences pédiatriques de l'hôpital sud de Rennes.

La sortie du documentaire fut une occasion idéale pour rencontrer quelques-unes de ces femmes et les écouter à notre tour évoquer avec passion leur métier mais aussi la situation compliquée de l'hôpital en France aujourd'hui.

 

 Dans le film d'Olivier Chasle, l'une des pédiatres confie que les urgences pédiatriques sont souvent sous-estimées dans le milieu hospitalier. « Ça ne fait pas partie des tâches nobles » dit-elle. Les images nous montrent un service aux couloirs ornés de couleurs vives, où l'on chante, où les jeux sont un moyen d'échanger avec les petits. Certain-es, parait-il, pensent qu'on n'y fait que changer des couches et préparer des biberons.

Pourtant, c'est aussi un endroit où s'invite parfois la psychiatrie, quelquefois la mort, et souvent, toujours presque, l'angoisse. « Je suis touchée, je suis rarement coulée » confie une des urgentistes ; mais quand la charge devient trop lourde, il faut songer à changer de service. « Certaines gardes de nuit sont presque des exploits physiques » estime Martine à l'écran quand Tiphaine, elle, fait le choix de partir. « L'espérance de vie d'un urgentiste aux urgences » nous apprend-on ne dépasse pas dix ans.

Deux mois de tournage résumés en une nuit blanche. « J'aimais bien l'idée de fermer le jour pour ouvrir la nuit puis de la refermer ensuite pour rouvrir le jour – dit le réalisateur – entre les deux, il s'était passé une histoire. J'ai enfermé toutes ces histoires nocturnes en une seule nuit ! »

« Les enfants sont notre avenir,

s'occuper de leur santé, c'est une belle mission ! »

Au calme de leur bureau, un jour de congé, elles sont trois parmi les sept du film à avoir accepté de revenir à l'hôpital pour nous partager ce qui les anime : leur humanité, leur humilité, aussi. Si Céline Farges, Marie-Aline Guitteny et Véronique Chasle ont accepté le regard de l'autre - via la caméra d'Olivier Chasle, « jamais intrusive » disent-elle - au long de quelques nuits de travail, c'est parce qu'elles aiment ce qu'elles font malgré les difficultés de leur choix professionnel. « Les enfants sont notre avenir – s'enthousiasme Marie-Aline – s'occuper de leur santé, de leur épanouissement, c'est une belle mission ! Toutes leurs histoires, leur façon d'être, leur spontanéité, leur optimisme, c'est ça que j'aime en pédiatrie ! »

badgeLoin des clichés sur les urgences façon émission de télé où on crie et court dans tous les sens, le documentaire Nuit Blanche décrit un monde apaisé où les échanges se résument parfois à quelques regards. « Une espèce de bulle » selon Olivier Chasle et Véronique, son épouse, confirme parlant de confiance et d'observation mutuelle. Pour dépasser la terreur de la blouse blanche, les médecins arborent à leurs revers des badges personnalisés : un panda, une danseuse, pour entrer en relation avec les jeunes patient-es.

« L'hôpital, c'est moins compliqué la nuit » dit Céline dans le documentaire. En off, elle et ses collègues évoquent pourtant « l'hyper concentration » nécessaire quand des décisions doivent être prises rapidement, la disponibilité à offrir à chaque parent angoissé (entre trente et cinquante consultations par nuit de garde), la solitude parfois et les repas décalés. Sans compter la responsabilité de toute l'équipe, composée d'internes pas toujours à l'aise, d'infirmières parfois sans expérience... « Il faut - observe le réalisateur – une force intellectuelle et physique ! »

« Le lavage des mains et le port du masque,

ça va sauver des bébés de la bronchiolite,

de la grippe, du rotavirus,

c'est fabuleux ! »

Un « travail éprouvant » que Véronique, Céline et Marie-Aline savent limité dans le temps. Notamment, dit Céline « parce que l'hôpital ne [lui] permet pas de le faire de la façon [qu'elle] aimerait le faire ! » Toutes trois dénoncent un système qui manque de souplesse et dans lequel elles ne se sentent pas reconnues.

pdiatresEt quand on leur parle de la crise sanitaire que traverse la France aujourd'hui, elles sourient presque. « La crise covid – estiment-elles – n'existe que parce qu'il faut mettre des malades en réanimation ; si on avait le nombre de lits suffisant, on n'aurait peut-être pas le sentiment d'être en crise permanente depuis le mois de mars. Mais on n'a pas ouvert de lits et on n'a embauché personne depuis le début ! »

Ces problèmes de manque de lit et de transfert de malades dans d'autres centres de soin, elles les connaissent chaque année. « Chaque hiver, c'est la crise ! » reconnaît Céline tandis que Marie-Aline ajoute : « en fait, on est tout le temps en crise, tout le temps sur le fil ; il suffit d'un tout petit truc pour que ça ne fonctionne plus. » Et finalement, elles observent que cette année, leur crise à elles sera moindre parce que les confinements ont empêché les virus de se propager et que « les gens ont découvert qu'il fallait se laver les mains ».

« Ça va nous sauver en pédiatrie ! Le lavage des mains et le port du masque, ça va sauver des bébés de la bronchiolite, de la grippe, du rotavirus, c'est fabuleux ! » dit Céline non sans humour. Les médecins notent cependant d'autres problématiques liées au covid notamment chez les adolescents : mal-être, idées suicidaires, crise d'agitation ou de violence sans parler des maux de tête ou de ventre à répétition pour lesquels les examens médicaux ne révèlent aucune cause. Et une très forte augmentation de patient-es souffrant d'anorexie.

« On nous demande d'abord combien ça coûte,

puis on nous répond :

soyez inventifs, réorganisez-vous ! »

« C'est des grosses machines les hôpitaux » soupire Marie-Aline. Avec ses collègues, elle estime que le « système centralisé » n'est pas assez à l'écoute des professionnel-les de terrain qui manquent de temps pour défendre leurs idées mais qui ne manqueraient pas de propositions si l'on voulait les écouter. « Il faudrait accepter de laisser l'initiative aux gens, de financer une idée originale, mais on ne sait pas faire ça en France. On nous demande d'abord combien ça coûte puis on nous répond invariablement : soyez inventifs, réorganisez-vous ! »

afficheNos trois pédiatres ne s'estiment pas défavorisées. De toute manière, tout le monde est défavorisé à l'hôpital public, regrettent-elles. Mais souvent, elles sentent qu'elles appartiennent à un secteur non rentable. « Ce qui est valorisé – disent-elles – ce sont les actes ; plus on fait d'actes techniques et plus c'est valorisé. Or, la pédiatrie représente très peu d'actes techniques, c'est surtout du temps passé avec les enfants, avec les parents, de l'éducation thérapeutique, des explications données pour les maladies chroniques... ce n'est pas rentable dans notre société ! »

Toujours passionné par le milieu médical, le réalisateur Olivier Chasle pense qu'il y aurait « dix mille histoires à raconter » le concernant. Peut-être n'a-t-il pas dit son dernier mot et poussera-t-il encore un jour les portes de l'hôpital.

Véronique, Céline et Marie-Aline restent aussi passionnées par un métier qu'elles ont choisi très jeunes et pour lequel elles avouent une véritable vocation. Même si elles déplorent la dégradation des services publics tant pour les patient-es que pour les soignant-es, elles ne s'envisagent pas dans un autre métier.

C'est tout l'objectif du documentaire Nuit Blanche, « montrer – dit son réalisateur – que le travail ça peut être aussi de très belles histoires, qu'on peut mener sa vie comme on l'a rêvée. »

Geneviève ROY