On sent la complicité dans les regards qu'elles échangent, comme une façon d'appuyer chacun de leurs propos. Depuis que la plume de l'une s'est associée au pinceau de l'autre, Anne-Gaëlle Morizur et Florence Dollé vivent une sorte de « communion » professionnelle.

Avec leurs mots et leurs images, elles façonnent pour les tout petits un univers directement inspiré de leurs engagements militants.

En se cachant derrière leur personnage fétiche, cette drôle de Tata qui a de la barbe sous les bras, les deux jeunes femmes apportent un nouveau souffle, féministe, au monde de l'édition jeunesse.

 

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Bretonnes et fières de l'être, Anne-Gaëlle Morizur et Florence Dollé se réjouissent que les livres jeunesse qu'elles signent à quatre mains soient aussi des produits locaux, imprimés et édités en Bretagne alors que la première habite à Brest et la seconde à Rennes. « Un produit 100% local direct du producteur » plaisantent-elles.

« Quand j'imagine quelque chose en écrivant, Flo, elle le fait fois dix mille ; ça rend encore mieux que dans ma tête ! » C'est avec énormément d'enthousiasme que Anne-Gaëlle Morizur décrit sa collaboration avec l'illustratrice Florence Dollé. « On a eu – dit-elle – un coup de cœur amical et professionnel ». Si l'une écrit et que l'autre dessine, elles n'hésitent pas à s'entraider, se donner des conseils ; « c'est comme du ping-pong – s'amuse Anne-Gaëlle – on est des pongistes de la littérature ! »

« Quand les enfants l'ont lu, ils demandent aux gens de lever les bras »

C'est dans les milieux associatifs et militants rennais que les deux jeunes femmes se rencontrent. D'ailleurs, elles le reconnaissent en chœur, leur travail est « d'abord un travail militant ». Pas étonnant que leur duo soit accompagné pour l'édition par Jean-Marie Goater, tout de suite séduit par l'univers des deux artistes. Elles partagent le même monde imaginaire, mais pas seulement ; elles se disent aussi « animées des mêmes luttes », pointant « les mêmes injustices » et désireuses de rendre visibles des « sujets similaires ». Quitte à se faire remarquer dans certains salons littéraires.

tata2Si leur Tata joue au foot avec ses chaussures à talons et conduit des tracteurs, elle a surtout « de la barbe sous les bras ». Une façon tout en couleurs, en rondeur et en humour de s'attaquer aux injonctions faites aux femmes.

« Un bras d'honneur à hauteur d'enfants » résume Anne-Gaëlle qui ajoute « c'est rigolo, quand les enfants l'ont lu, ils demandent aux gens de lever les bras pour savoir qui a de la barbe ! » Leur deuxième album, qui sort cet automne, parlera du syndrome prémenstruel et s'adressera aux enfants un peu plus grands. Avec toujours le même leitmotiv : « l'humour plutôt que la morale ! »

« Une manière de construire un monde meilleur, plus égalitaire, plus inclusif »

Petite fille, Anne-Gaëlle se voyait déjà autrice. Mais elle n'imaginait pas écrire pour les enfants ; elle rêvait plutôt d'histoires d'amour façon « romans de gare ». Un souvenir qui l'amuse aujourd'hui alors qu'elle déclare : « c'est génial de travailler pour les enfants ; c'est peut-être naïf, mais pour moi, c'est une manière de construire un monde meilleur plus égalitaire, plus inclusif ».

Une façon aussi de participer au renouvellement du genre dont les jeunes femmes se souviennent qu’il manquait cruellement d'héroïnes dans leur propre enfance. « Les petits garçons étaient partout - s'indigne Florence – en tant que fille, comment s'identifier ? »

« J'ai grandi dans une famille où la lecture était ultra présente ; il y avait des bouquins partout ; mes parents me lisaient beaucoup d'histoires » raconte Anne-Gaëlle évoquant un « père très BD » et une « mère très romanesque qui lisait des polars locaux qui se passaient en Bretagne ». Ils rêvaient de faire de leurs filles des scientifiques, toutes deux sont aujourd'hui écrivaines. Après un « parcours classique dans la communication » c'est suite à un concours de poésie que Anne-Gaëlle décide de revenir à ses premières ambitions, inspirée par les questions des enfants de sa sœur, Gwénola, « en observant leurs réactions au monde, leurs questionnements. C'est eux la source d'inspiration ».

« On doit sortir pour s'émerveiller du monde, écouter des histoires de vies »

Florence, de son côté, ne se souvient pas à quel moment elle a commencé à dessiner mais se rappelle parfaitement ce baby-sitter, lui-même illustrateur avec qui elle a pris ses premiers véritables cours de dessin. « Je me suis dit : alors, c'est un métier ! Et j'ai compris qu'on pouvait grandir en continuant à dessiner » dit-elle.

Leur parcours commun a ensuite croisé la route d'un éditeur. « Nous avons eu beaucoup de chance – disent-elles – avec Jean-Marie on se sent soutenues et il nous fait grandir ! » Il leur permet aussi d'aborder ces « sujets tabous » sur lesquels elles entendent « casser un peu les codes ».

Et si Anne-Gaëlle en parle avec ses neveux et nièces, Florence, elle, se réjouit d'avoir pu « discuter de ça avec [sa] grand-mère de 95 ans » ! En attendant des interventions qu'elles appellent de leurs vœux notamment dans les écoles ou les bibliothèques. « On sent qu'il y a une demande pour ce genre de littérature et ça fait du bien » disent-elles, mais il y a le covid...

Entre la solitude nécessaire à la création et leur duo dynamique, Anne-Gaëlle et Florence ont trouvé « un équilibre essentiel ». « On a besoin de se nourrir des autres parce qu'on raconte des histoires – analyse Anne-Gaëlle – On doit sortir pour s'émerveiller du monde, écouter des histoires de vies, des anecdotes. » Leur prochain défi : pourquoi pas une bande dessinée ? Un nouveau challenge que ces deux amatrices de BD ne bouderaient pas. « On en parle de plus en plus » disent-elles, laconiques...

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :
Lire et/ou offrir « Tata a de la barbe sous les bras » publié en septembre 2020 et « Ma grande sœur est un loup-garou » à paraître en octobre 2021 aux éditions Goater

Rencontrer les autrices à l'occasion du lancement de leur ouvrage « Ma grand sœur est un loup-garou » à partir de 16h (jusqu'à 1h du matin) à la Part des Anges le 27 octobre mais aussi  au Salon du livre en Bretagne à Carhaix (29) le 30 octobre et au Salon du livre de Corps-Nuds (35) le 27 novembre