Au moment de notre entretien téléphonique, elle est en train de se débattre, en sa qualité de parent d'élèves, avec les protocoles de réouverture de l'école de son village.
Jessie Magana est maman mais aussi autrice et citoyenne engagée. Ce « monde d'après » qu'on nous annonce depuis plusieurs semaines, elle avoue avoir du mal à l'imaginer de façon positive. Pour elle, ce moment particulier que la France traverse est « révélateur de plein de choses » notamment des inégalités sociales ou encore de la place des femmes dans la société.
Elle craint que la peur de la maladie ne se transforme en peur de l'autre et espère avec son dernier livre paru début mars pouvoir contribuer à « atténuer les angoisses ».
On la connaît sur le front des luttes féministes autant que sur celui de l'aide aux demandeurs d'asile. On la sait investie dans le milieu scolaire pour déconstruire les stéréotypes de genre mais aussi dans le monde associatif auprès des réfugié-es. Jessie Magana est une femme d'action. Son énergie créatrice lui a déjà fait signé nombre d'ouvrages sur toutes ces thématiques qui lui sont chères. Aussi n'est-il pas étonnant de voir son nom sur la couverture d'un livre (co-écrit avec Alexandre Messager) intitulé : « Des mots pour combattre le racisme ».
Une vision équilibrée, mais un anti-racisme assumé
« C'est un livre-outil – dit-elle – destiné aux adolescents, à partir du collège, mais aussi au grand public qui peut se partager en famille. » Cet ouvrage de « vulgarisation éclairée » permet de comprendre d'où vient le racisme avec des données historiques, sociologiques, culturelles, mais aussi d'apporter des outils pour « répliquer, combattre les idées reçues et les préjugés ».
Une première édition, signée d'Alexandre Messager seul, était sortie en 2012. Depuis cette date et un certain nombre d'événements majeurs parmi lesquels les attentats de 2015 et l'afflux des populations réfugiées, une mise à jour était devenue indispensable. Les deux auteurs ont gardé les articles qui traitaient de l'Histoire comme ceux sur l'Apartheid ou l'esclavage et ont rajouté de nombreuses références notamment pour prendre en compte des questions nouvelles : le rapport à l'Islam, les migrations, l'intersectionnalité, la laïcité.
« On a rajouté pas mal de choses sur les luttes féministes et LGBT qui rejoignent souvent les luttes anti-racistes » explique aussi Jessie Magana qui suggère de lire ce livre « par petits bouts » ; elle propose d'ailleurs de le « laisser traîner pour que les ados puissent s'en emparer de manière impressionniste ». Les mots choisis – d'un point de vue assumé anti-raciste – permettent de susciter le débat. « Certains sujets sont ultra-polémiques ; on a essayé d'avoir une vision équilibrée mais bien sûr, on soutient des positions qui mettent plutôt en valeur l'apport intéressant du multiculturalisme » défend l'autrice.
Une route encore longue vers l'égalité ?
Avec son co-auteur, lui aussi intervenant régulier dans les établissements scolaires, elle espère que la rentrée d'automne permettra de donner une seconde chance à ce petit livre passé inaperçu parce que arrivé dans les librairies à quelques jours du confinement. Pourtant, elle estime qu'il aura toute sa place dans les échanges à venir avec les collégien-nes.
« Ce que j'observe depuis le début du confinement – dit-elle – c'est la peur de l'autre qui est en train de prendre des proportions énormes puisqu'on empêche les gens d'avoir des contacts entre eux. Il y a cette espèce d'angoisse sourde qui naît et qui est la base même du racisme. » Pour elle, le Covid a contribué à « poser un couvercle » sur toutes les questions d'inégalités. « On ne s'intéresse qu'aux questions sanitaires avec une espèce d'obsession sécuritaire – regrette-t-elle – mais les conséquences sociales sont hyper graves. J'espère que notre petit livre pourra se frayer un chemin dans tout ça pour qu'on permette aux jeunes de sortir de l'angoisse et qu'on puisse réfléchir ensemble à ce qu'on voudrait . »
Elle, ce qu'elle veut pour l'après, c'est dit-elle simplement ce qu'elle voulait déjà avant : un monde égalitaire. « Je me garde bien de faire de la prospective – déclare-t-elle – je ne sais pas si ça va être mieux ou moins bien. Mais je me demande juste comment l'égalité va pouvoir être mise en œuvre maintenant que les inégalités se sont creusées d'une manière phénoménale et que la peur de l'autre nous paralyse ».
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
De « Affirmation action » (discrimination positive) à « Zoos humains » en passant par « Faciès » « Génétique » « Métissage » ou « Shoah » 67 mots constitués en abécédaire pour décrypter tous les aspects du racisme passés et présents ; des définitions, des exemples, des citations mais aussi des illustrations (photos d'archives, publicités, campagnes de sensibilisation) et pour approfondir tous ces sujets des références de livres, de films, de vidéos, accessibles soit aux adolescents soit aux adultes. - « Des mots pour combattre le racisme » de Jessie Magana et Alexandre Messager – à partir de 13 ans – éditions Syros -