« J'ai été ce petit garçon, cet adolescent. Mais à l'intérieur de ce jeune homme, il y a une femme et c'est elle que j'ai choisi de laisser éclore lorsque je m'en suis sentie prête » écrit Sasha dans ses cahiers.
Pourtant, si elle se sent prête, si dans sa famille, c'est l'amour qui l'emporte et donc le soutien, la société, elle, ne l'entend pas de cette oreille.
Sasha décide d'assumer qui elle est vraiment malgré les violences et les humiliations. Sa "force" ne suffit pas ; elle met fin à ses jours.
Sa sœur, Pauline Chiron, a voulu écrire son histoire pour garder sa mémoire et témoigner des obstacles qui jalonnent un parcours de transition.
Dans son livre Pour Sasha, la jeune nantaise Pauline Chiron donne largement la parole à sa sœur disparue. Elle était solaire, enjouée, passionnée de mode et de mots pour dire tout ce qu'elle ressentait. C'est grâce à ses nombreux textes laissés derrière elle mais aussi à leurs souvenirs communs d'une enfance heureuse dans une famille aimante que Pauline a pu retracer les vingt-deux années de vie de Sasha. Son message d'amour pour une sœur dont elle n'accepte toujours pas le départ un certain jour de septembre 2021.
« J'écris pour crier ma rage » annonce dès l'avant-propos Pauline Chiron. Sa rage d'avoir perdu sa sœur, mais surtout sa rage contre tous ceux et toutes celles qui n'ont pas su l'accepter voire l'aider. « La mort de Sasha est politique » écrit Pauline pour qui les responsabilités sont multiples : les services médicaux notamment psychiatriques, les enseignant.e.s qui s'obstinent à la mégenrer, les forces de l'ordre quand elle va porter plainte pour viol et jusqu'aux hommes d'Eglise au moment de ses obsèques.
Pour sa sœur, écrire est le meilleur chemin pour « garder vivante la mémoire de Sasha » et « dire au monde que [sa] vie comptait ». Pas un geste thérapeutique, reconnaît-elle ; d'ailleurs aujourd'hui, une fois le livre écrit et publié, elle n'a toujours pas trouvé d'apaisement. « Un jour peut-être » dit-elle, sachant que ce sera long.
« Ne pas ressembler à tout le monde
devrait être une fierté »
Pour Sasha aussi le chemin fut long et difficile, semé de joie et de désespoir. De doutes, beaucoup. Son histoire est émaillée de violences dites ordinaires, de regards moqueurs, de harcèlement. Parce qu'elle ne rentre pas dans les normes de la société. « Ne pas ressembler à tout le monde devrait être une fierté » s'agace Pauline Chiron, décrivant sa sœur comme une jeune femme habitée par l'ambition d'être styliste et douée d'un certain talent pour cet univers de la mode qu'elle croit plus ouvert que d'autres.
Pourtant, là aussi, on la juge. Indélicatesse, manque de formation, d'information sans doute, sa vulnérabilité n'est pas prise en compte et une fois encore lorsque Sasha croit pouvoir s'affirmer les portes se referment devant elle.
Elle écrivait pourtant se sentir « apaisée d'avoir trouvé [sa] place ». Et se disait « forte » de cette force due « au petit garçon qui a dû assumer quelque chose qu'il n'était pas, qui se faisait harceler, insulter aux arrêts de bus à la sortie du collège ou du lycée par des groupes de garçons ou encore intimider dans les vestiaires » ; « avec ce petit garçon qui m'habitera toujours – disait-elle encore - je suis une survivor, je suis protégée ».
« Ça a beaucoup de sens de lutter,
de transformer une colère en action politique »
Sasha a cru se construire une carapace mais les autres ont été les plus forts. Et pour sa famille, ses ami.e.s, ne reste que le désir de faire du drame qui les a frappés quelque chose de constructif. Sa mère s'est engagée contre la transphobie notamment au sein de l'association Contact 44. « Pour nous ça a beaucoup de sens de lutter – explique Pauline Chiron – de transformer une forme de colère en action politique ».
Elle a écrit son livre pour pourvoir « aller de l'avant » et ne cache pas un féminisme militant radical. Elle défend aussi l'idée que des interventions en milieu scolaire sont aujourd'hui nécessaires pour faire changer les regards et sensibiliser aux discriminations. Si son livre peut aider à faire comprendre, à travers une histoire personnelle, la force qu'il faut pour transitionner, elle s'en réjouit mais ne croit guère que les vraies personnes transphobes puissent s'y intéresser.
Elle reconnaît toutefois que les mentalités évoluent même si comme toutes les militantes féministes, elle s'inquiète des tendances réactionnaires à l’œuvre dans nombre de pays y compris les plus influents. Pour elle, les réseaux sociaux, pourtant lieu de harcèlement notamment envers les minorités de genre, permettent de montrer des personnes modèles indispensables en particulier pour les plus jeunes. Ils sont aussi précieux pour faire communauté et casser l'isolement des personnes transgenres.
« Ta démarche me fait grandir personnellement - avait un jour écrit à Sasha son père – tu as fait ce choix de devenir une femme et je suis heureux que tu l'aies fait ; je mesure aussi la dose de courage et d'audace qu'il t'a fallu ». Après sa mort, son meilleur ami déclare que pour lui « Sasha s'est transformée en belle énergie ». Pour celles et ceux qui l'ont aimée, le temps de l'apaisement viendra un jour. En attendant, celui de la colère et de l'incompréhension leur permettra de lutter pour que la transphobie cesse de tuer.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : lire le livre de Pauline Chiron, Pour Sasha, la transphobie tue aux éditions Libertalia.
Photo : Fresque éphémère peinte à Nantes, boulevard Allende, par l'artiste Dex – hommage à Sasha et à douze autres victimes de transphobie entre 2018 et 2021 en France – ©Suvann/Coruescation