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On est repartis avec plus de questions que de réponses.

La thématique des femmes dans la ville méritait bien cette soirée dans la programmation de Rennes Métropole justement intitulée « l'égalité entre les femmes et les hommes condition d'une ville et d'une société plus justes ».

Nombre des problèmes liés à l'accès égalitaire à l'espace public auront été évoqués mais trop brièvement sans doute.

En revanche, ce fut l'occasion d'entendre Laurence Croslard évoquer son métier d'architecte urbaniste et de prendre conscience que là encore les femmes ont du mal à se faire une juste place.

 

Le temps d'échange avec le public semblait mal engagé lorsque Laurence Croslard exprima son envie « de ne pas être trop féministe ». Dans ce qui ressemblait fort à un entre soi on sentait poindre l'idée que les problèmes des femmes dans la ville étaient tous ou presque liés à l'insécurité et sans aucun doute réservés à « certains quartiers ».

 

« La ville est autant faite

pour les femmes (…)

que pour les hommes »

 

Les images qui défilaient sur l'écran permirent tout de même d'évoquer quelques questions qui ont toute leur importance dans la vie quotidienne des citadines : la mobilité à vélo, les femmes qui traversent l'espace public et les hommes qui y sont plus facilement statiques, la charge des enfants qui repose très largement sur les mères, le manque de toilettes publiques pour les femmes, les rues portent rarement des noms de femmes et les statues qui représentent presque toujours des hommes...

Hélas on ne fit que constater sans véritablement aller plus loin. « En tant qu'urbaniste architecte, il ne me semblait pas qu'on y était pour grand chose » reconnaît Laurence Croslard qui avoue : « j'aime beaucoup me balader seule en ville, dans n'importe quelle ville et je ne me sens pas agressée ; je ne me rends pas compte de cette question, je ne la vis pas. Pour moi, la ville est autant faite pour les femmes que pour les enfants, les personnes âgées ou les hommes ».

Toujours centrée sur la sécurité, l'urbaniste estimera encore que « c'est un problème culturel qui va au-delà du métier d'architecte ». D'ailleurs, pour cette femme qui voyage beaucoup, il est des pays « plus sécurisants que d'autres ce qui prouve bien que c'est un problème culturel ! »

 

« La star architecture

est portée par les hommes »

 

On aimerait pourtant les habiter ces logements qu'elle montre sur l'écran et par lesquels on comprend qu'on ne construit pas de la même façon lorsque l'on est femme ou homme. Dans ses projets, c'est la couleur, la lumière et la diversité des formes qui dominent. « Chacun a le droit de vivre différemment de son voisin – défend-elle – nos logements ne sont pas répétitifs ». Est-ce parce qu'elle est une femme qu'elle impose des couleurs vives sur les façades lorsque dit-elle « l'esprit du moment est plutôt au noir et blanc » ?

Pas sûr... En tout cas, c'est bien parce qu'elle est femme que son agence ne se voit confier que des projets modestes et souvent du logement social. Montrant un chantier en finition, elle commente : « il y avait un programme de cinquante logements ; on m'en a donné dix et les quarante autres à un mec ! C'était pourtant le même promoteur et c'est un peu systématique ! »

Elle qui a fait les Beaux-Arts entre 1978 et 1984 et s'est aussitôt installée comme indépendante appuie ses dires par des chiffres. Si aujourd'hui les filles représentent 55% des diplômé.es en architecture en France, elles restent majoritairement salariées toute leur carrière et dit-elle « la star architecture est portée par les hommes » ! On se réjouit au passage d'apprendre que la Bretagne fait partie, avec l'Occitanie notamment, des régions de France où l'on compte le plus de femmes architectes.

 

« Plus une profession se féminise,

plus elle perd de sa valeur »

 

Aujourd'hui à la tête d'une agence « relativement importante » qui emploie une douzaine de personnes, soit en urbanisme et paysage soit en architecture, Laurence Croslard a su prendre sa place dans les instances professionnelles. Elue au conseil régional de l'ordre des architectes, elle a aussi fait partie du conseil national, soucieuse d'être « au plus près des endroits où se prennent les décisions ». Elle en est revenue un peu dépitée persuadée d'une part que le ministère de la Culture dont dépend sa profession n'a pas de moyens suffisants et que « plus une profession se féminise plus elle perd de sa valeur ».

Malgré tout, à la veille de prendre sa retraite, Laurence Croslard reste passionnée par ce « métier [qu'elle] adore ». « J'ai toujours fait des projets de petite ampleur – dit-elle – mais j'ai toujours eu du travail et je continue à me faire plaisir en travaillant. » Ses programmes de logements donnent de la couleur à nombre de communes de la couronne rennaise, du Rheu à Montgermont en passant par Chateaugiron et elle se réjouit quand « ça va jusqu'au bout de la chaine » et que les artisans prennent eux aussi du plaisir à réaliser ses projets.

Quant aux aménagements pour que chacun et chacune s'y trouve bien, l'architecte urbaniste estime qu'ils ne peuvent pas s'anticiper. « Ce qu'il faut, c'est le faire ensemble, avec les gens, le plus possible. Quand les élu.es me disent : qu'est-ce qu'on fait là ? Je réponds : on attend que les gens arrivent et ils vont nous dire ce qu'ils veulent ! »

Voilà pour Laurence Croslard une des clefs de l'architecture au féminin : « l'attention qu'on porte aux gens, une façon d'être plus proche d'eux »

Geneviève ROY