Aïcha Macky est Nigérienne. Sociologue, elle a choisi le film documentaire pour s'attaquer aux tabous de la société de son pays et en particulier ceux liés aux droits des femmes.

Au cours de ses études, elle a passé une année au Sénégal où elle a découvert un mode de vie radicalement différent et notamment une approche de la sexualité par les femmes très éloignée de sa propre éducation où ce sujet n'est jamais abordé publiquement.

Dans son film « Savoir faire le lit » elle décrit comment les Sénégalaises sont initiées dès leur plus jeune âge à l'art de la séduction.

 

A l'invitation de l'association MATA, Aïcha Macky a présenté son film le 7 mars dernier à la Maison Internationale de Rennes.

 

aichamacky« Je suis sociologue de formation – témoigne la jeune femme – j'ai ressenti le besoin de faire des films parce que je viens d'un pays où la moitié de la population est analphabète donc on ne peut pas les atteindre avec des ouvrages alors que l'image est un langage universel. Il y a beaucoup à faire par rapport à la condition des femmes au Niger, c'est pour ça que j'ai décidé de toucher un peu les tabous dans des films documentaires pour amorcer un dialogue dans la société. Mon prochain film traitera du problème de l'infertilité. Au Niger, les femmes ont encore en moyenne plus de six enfants chacune et l'infertilité est très mal vue. Je suis mariée depuis quatre ans et je n'ai pas d'enfant. J'y parlerai d'une sage-femme qui milite pour installer son laboratoire et réaliser des fécondations in-vitro comme elle l'a appris en France. C'est aussi un regard croisé entre ma mère qui a eu six enfants et qui est décédée en couches à la sixième naissance et moi qui n'arrive pas à en avoir. »

Une féminité sculptée dès le berceau

Pour son Master 2 de réalisation documentaire, Aïcha Macky passe une année à Saint-Louis au Sénégal. Cette année d'étude est sanctionnée par la réalisation d'un film court, « Savoir faire le lit », qu'elle compte prolonger prochainement par un documentaire de 52 minutes afin d'y inclure notamment la parole des hommes. Son objectif : « faire une étude comparative entre les deux sociétés » - celle du Niger et celle du Sénégal - « toutes les deux musulmanes et africaines. » Dans le grand format, elle souhaite aussi « voir la perception des Nigériennes par rapport à cette question et comment elles arrivent à séduire les hommes qui est différente de celle du Sénégal.»

En effet, dans sa vie quotidienne avec les femmes du Sénégal, en particulier les autres étudiantes du campus qu'elle fréquente, Aïcha s'étonne d'un certain nombre de traditions. Au centre de celles-ci, toutes celles qui touchent à la sexualité des femmes. Elle découvre ainsi que dès leur naissance et jusqu'à l'âge de deux ans environ, les petites filles font l'objet de massages quotidiens, assez douloureux semble-t-il si l'on en juge par les cris des bébés filmés ; une façon de préparer le corps à ce qu'il devra être à l'âge adulte.

« Sculpter le corps du bébé c'est la base de la féminité qui prend source dès le berceau - raconte la jeune cinéaste à l'issue de la projection - Ce n'est pas la même façon de faire pour les garçons ou pour les filles. Pour les garçons les massages développent le haut du corps pour leur donner une certaine autorité et les mères sont très attentives à la façon de positionner le sexe dans les couches. Les petites filles, elles, doivent avoir des cambrures, des hanches et des fesses rebondies. On leur manipule les jambes pour que leurs talons touchent leurs fesses car elles doivent avoir une grande souplesse pour danser. Les grands-mères apprennent aux fillettes comment danser et dès cinq ans, la fille sait qu'il faut qu'elle sache danser pour son homme. (...) Quand tu as une fille, il y a l'obligation de la masser pour faire en sorte qu'une fois grande, elle attire les garçons et trouve un mari. Quand il y a des querelles entre voisines, elles se lancent des piques du genre : « tu es une femme incapable, tu n'as même pas été capable de bien masser ta fille ; elle ne ressemble pas à une Sénégalaise, mais à une Européenne toute plate ! »

savoirfairelelitDes avis partagés par les jeunes femmes rencontrées au campus.

« Toutes les filles que j'ai rencontrées dans mon bâtiment pensent de la même façon. Pour elles, la vraie Sénégalaise répond à ce modèle-là ; c'est à travers son corps qu'on la reconnaît partout en Afrique, avec des rondeurs, avec des hanches, avec des fesses. C'est une culture et même si elles ne sont pas très ancrées dans le reste de la culture, elles tiennent aux fesses ! Même si elles veulent maigrir, il faut qu'il reste les hanches et les fesses ! J'ai rencontré une fille qui avait presque la même taille que moi ; je lui ai demandé pourquoi elle n'était pas comme les autres Sénégalaises et elle m'a dit qu'elle avait eu la malchance de naître hors du Sénégal et que sa mère avait raté son massage. Et d'ailleurs, pour rattraper, elle met de fausses hanches pour sortir ; c'est un complexe pour elle ! »

Une menace permanente : la polygamie

Autre choc culturel pour Aïcha, la pratique du maquillage.

« Je ne sais pas me maquiller ; je n'ai pas l'habitude. Je mets juste un lipstick pour protéger mes lèvres et à la rigueur un peu de crayon - raconte-t-elle encore avec beaucoup d'humour - quand il y a eu la fête d'intégration, partout dans le bâtiment, elles étaient toutes à se mettre des couleurs, des faux cils, des faux ongles... et moi je leur disais : je vous trouve toutes fausses ! On se tournait en dérision : elles, elles trouvaient que je ne suis pas un modèle de femmes et moi, je trouvais qu'elles sont toutes artificielles et fausses ! Comme quand je les vois marcher... elles marchent toutes comme des mannequins sur un podium, un peu comme si elles avaient des ressorts ! »

Pour elle, une des raisons à cette culture de la séduction réside dans la polygamie.

« Au Sénégal, j'ai discuté avec pas mal de femmes, elles disent en fait que c'est une rivalité. Saint-Louis est une ville réputée pour être ville de séduction où il y a de jolies femmes élégantes qui savent marcher, qui savent ferrer les hommes et les dompter ! Les Dakaroises par exemple, si on affecte leurs maris à Saint-Louis, elles font tout pour aller avec eux, même si elles doivent quitter leur travail parce qu'elles ont peur d'être remplacées. (...) Dans mon premier projet, je devais rencontrer des hommes pour avoir leur point de vue par rapport à ces pratiques mais comme il y avait une exigence de format à 26 minutes, le projet n'est pas allé au bout. J'étais restée sur ma soif et c'est pour ça que je prépare maintenant un 52 minutes.
Pour les Sénégalais, une femme qui ne sait pas utiliser les perles, les petits pagnes et qui n'a pas de rondeurs, ce n'est pas une femme. Et d'ailleurs, il y a des hommes qui sont prêts à donner de l'argent chaque semaine pour que la femme change ses petits pagnes et ses perles. Il faut avoir tous ces atouts-là, et surtout savoir danser !
(...) Les Sénégalaises, en fait, leur but c'est de satisfaire leur homme. Et derrière la satisfaction de l'homme, il y a la question de la polygamie qui se pose. Si vraiment tu n'arrives à maintenir ton homme, à le garder pour toi, il peut aller voir ailleurs, donc pour le retenir à la maison, il faut lui faire des danses obscènes, porter des petits pagnes, le séduire... et aussi utiliser les aphrodisiaques qu'elles appellent les secrets des femmes. Tout ce qu'elles font, c'est par rapport à l'homme, tout est lié à lui. La femme s'efface et n'a pas de désir ; son plaisir c'est le désir de l'homme.
(...) Chez nous, il y a des moments où la femme cède le terrain aux femmes moins âgées ; au Sénégal, on peut voir une femme de soixante-dix ans avec des faux cils, des faux ongles et maquillée avec plein de couleurs. Elles le disent haut et fort : quel que soit son âge, la femme devient vieille quand elle le veut ; et elles ne sont pas prêtes à vieillir. Même à soixante-dix ans, un homme peut toujours vouloir se marier, donc, il faut marquer son territoire ! »

Difficile, semble-t-il, d'être différent-e dans la société du Sénégal telle que la décrit Aïcha. Pourtant, toutes les filles sans doute n'acceptent pas ces normes imposées. La jeune Nigérienne évoque une cinéaste rencontrée à l'université qui se revendiquait « garçon manqué ».

« Une étudiante qui faisait le même master que moi a fait un film, un autoportrait, pour dire tout ce qu'elle a vécu comme frustration quand elle était plus jeune parce que tout le monde la trouvait moche. Il y a des salons de coiffure où on ne lui permet pas d'accéder parce qu'on lui dit : de toute manière, on ne sait pas comment faire pour que tu sois femme ! Elle n'a pas de rondeurs, elle n'a pas de formes ; elle avoisine la quarantaine et elle n'est pas mariée. C'était un moyen pour elle de libérer la parole en s'adressant aux autres femmes qui lui font vivre ça ! »

Témoignage recueilli par Geneviève ROY

Pour aller plus loin : visionner le documentaire de Aïcha Macky « Savoir faire le lit »