« A mon époque en 4ème les cancres on les orientait tous dans des métiers manuels ou dans l'agriculture et aujourd'hui tous mes anciens copains sont chefs d'entreprises ! Les cancres parfois réussissent mieux que les autres ! » Autour de la table ronde sur la situation des agricultrices, organisée le 12 décembre par l'association Femmes de Bretagne, c'est le témoignage de Marie-Edith Macé qui a été le plus remarqué.
A 56 ans et après plus de quinze ans d'expérience en tant qu'éleveuse de vaches laitières en agriculture biologique à quelques kilomètres de Rennes, c'est une femme déterminée qui est venue dire son quotidien de cheffe d'exploitation mais aussi de présidente d'une association de professionnel.le.s.
Pour elle, aujourd'hui encore les agricultrices ne sont pas des « agriculteurs comme les autres ».
Extraits de son témoignage
« En agriculture, les femmes n'ont un statut que quand les hommes partent à la retraite ; ma mère est devenue cheffe d'exploitation quand mon père a arrêté de travailler et elle l'est restée dix ans. Un jour elle m'a dit : « depuis que tu es toute petite tu dis que c'est toi qui trairas les vaches quand tu seras grande, on vend la ferme donc qu'est-ce que tu fais ? C'est maintenant ou jamais ! » et moi je lui ai dis : « ben, comme c'est pas jamais, on va dire que c'est maintenant ! » Et j'ai fait une formation pour adultes pour être responsable d'exploitation agricole. Je me suis installée en 2008. Il faut savoir que les installations sont aidées jusqu'à 40 ans et je me suis installée à 39 ans et 11 mois ! »
Sexisme ordinaire et division du travail
« Je me suis installée en GAEC en 2012 avec deux associés, ce n'était pas une association familiale, c'était avec deux tiers, on faisait pas mal de choses dans la ferme, il y avait toujours le lait mais il y avait aussi des céréales, des vaches allaitantes et un atelier de cochons... Il y a toujours un moment où on oublie de prendre le temps de discuter des choses et où les tâches se répartissent en fonction des domaines de compétences ou là où ça semble le plus facile ; pour les apprentissages d'autres choses on n'a pas assez de temps. Du coup très vite dans la ferme, les tâches ont été genrées, c'est-à-dire que moi je me suis retrouvée à traire les vaches, soigner les veaux, faire la compta alors que mes collègues étaient beaucoup sur les tracteurs ou à faire tous les bricolages qu'il peut y avoir dans les aménagements de bâtiments, etc. Si bien qu'un jour ils m'ont dit : tu ne fais pas de tracteur attelé, tu ne fais pas de mur en béton, donc on te propose de mettre ta rémunération à 70% ! Evidemment, ça s'est terminé en séparation !
(…)
J’adhère à une association où on essaie de réfléchir entre paysans et paysannes. Au moment où j'étais en GAEC, on était justement en train de travailler sur le genre et le travail dans les fermes parce qu'on s'était aperçu que dans les formations qu'on faisait régulièrement il n'y avait que des hommes. Ce sont les fermes qui sont adhérentes et pas les gens donc on ne savait pas combien il y avait de femmes puisqu'elles sont complètement invisibles la plupart du temps. On a questionné toutes les structures adhérentes et on a constaté qu'il y avait plein de femmes !
Le président de l'association de l'époque a suggéré de proposer à ces femmes un lieu de rencontres où elles pourraient être entre elles et moi j'ai fait un bond au plafond en disant : « jamais, pitié ! » Pour moi, c'était complètement inconcevable d'avoir choisi cette profession d'agricultrice que je savais être un monde d'hommes et d'essayer de trouver des solutions seulement entre femmes ! Ça n'avait pas de sens ! »
Non mixité et enseignement égalitaire
« Il n'y avait que des hommes autour de la table du conseil d'administration, j'étais la seule femme, et ils étaient tous d'accord pour faire un groupe de femmes donc comme je ne voulais pas mourir idiote, je suis allée aux premières réunions. Bien m'en a pris ! Parce que en fait c'est vachement bien les groupes où on est entre nous ; c'est des vrais empuissancements ! C'est des vrais débloqueurs de paroles, ça aide à trouver des solutions... et en fait, c'est grâce à ce groupe-là que je suis encore paysanne aujourd'hui. Ce groupe m'a permis de me dire que ce que je vivais à ce moment-là de sexisme en agriculture, je n'étais pas la seule à le vivre, que c'était important que je me batte pour garder ma ferme et que j'avais plein de sœurs qui allaient m'aider.
La mixité c'est tous les jours qu'on la vit, mais les espaces de non mixité sont tellement décupleurs d'énergie et tellement favorables à l'apprentissage ! Quand les femmes sont sous le regard d'hommes, même bienveillants, elles se mettent en retrait et du coup, elles s'interdisent déjà le premier apprentissage. Et la non mixité, elle sert d'abord à ça, à ce que tout le monde ait le même enseignement tout le temps.
Un des premiers constats qu'on a fait, c'est que aujourd'hui en agriculture à diplôme égal la formation n'est pas égale ! Parce qu'il y a plein d'enseignements qui se font en stage ! Mais une fille qui arrive en stage et qui n'a pas le droit de monter sur un tracteur parce que c'est une fille, à la fin elle a le même diplôme que les autres mais elle n'a jamais conduit de tracteur de sa vie !
Aujourd'hui, je suis présidente de l'association et avec notre groupe de femmes, on va dans les lycées, dans les formations professionnelles, on essaie de bosser au niveau national... Un de nos premiers combats a été d'aller directement au lycée du Rheu et de leur dire qu'on aimerait que le premier enseignement de tracteur se fasse au sein du lycée et en non mixité ; ils y travaillent et c'est chouette ! »
Propos recueillis par Geneviève ROY