Elle ne vous en voudra pas si vous lui dites qu'elle est grosse. « Pour moi – dit Loulie – c'est juste un adjectif, pas une insulte ».
En revanche, de façon plus insidieuse, la grossophobie est bien présente dans sa vie et c'est parfois difficile d'y faire face.
Alors, avec son amie Lucie, elle a créé voilà deux ans à Rennes le collectif Gros Amours, pour dit-elle « se faire du bien » et rêver ensemble d'un « monde sans accoudoirs et sans normes ».
Loulie en a assez de ces gens qui cherchent leurs mots. Elle ne veut pas qu'on dise d'elle – ou de toute autre personne grosse – qu'elle est en surpoids, potelée, ronde ou qu'elle a des formes. « Il faut arrêter de donner des adjectifs qui nuancent notre corpulence – défend-elle – quand une personne est maigre, on dit qu'elle est maigre et bien pour les personnes grosses c'est la même chose ; c'est juste une réalité, c'est tout ! Mais je sais aussi que pour certaines personnes le mot « gros » peut être blessant. En fait, le vocabulaire contribue à faire les discriminations ; la corpulence ne fait pas la personne ! »
L'entre-soi pour se faire du bien, se réparer et se donner de l'amour
Avec le collectif Gros Amours, elle partage désormais son expérience avec une dizaine d'amies concernées. Une façon de se tenir chaud. « L'idée c'était de se faire du bien, de se donner de l'amour entre personnes grosses, de se réparer ensemble » dit-elle ajoutant qu'aujourd'hui, elles souhaitent aussi sortir de leur zone de confort et aller à la rencontre des autres. Ce qu'elles font par des actions de sensibilisation notamment lors de festivals ou sur les réseaux sociaux.
Si le collectif reste ouvert à tous et toutes, il n'est fréquenté pour l'heure que par des femmes ou des personnes se reconnaissant femmes. C'est un constat : elles souffrent beaucoup plus de grossophobie que les hommes chez qui le poids peut être associé à une certaine force physique quand on attend des femmes qu'elles paraissent « plus fragiles ».
« On est à l'intersection entre le sexisme et la grossophobie – explique Loulie – dans une société construite sur une image idéale du corps des femmes ». Et c'est bien de cela qu'il est question. Etre grosses ne nécessiterait pas forcément d'en parler si ce n'étaient les conséquences dans toute la société normée pour et par des personnes moins grosses. Et l'entre-soi est alors essentiel ; « on n'a pas forcément envie de parler de notre intimité avec des hommes » prévient la jeune femme.
Des rayons vêtements avec autre chose que des pantalons noirs et des tee-shirts blancs
Le mot « grossophobie » rappelle la militante est apparu au dictionnaire en 2019 mais ce qu'il représente existait bien avant. Pour celles (et ceux) qui sont concerné.es c'est un combat de chaque jour. Ce n'est pas juste des gens qui disent qu'ils n'aiment pas les gros . C'est au quotidien ne pas pouvoir s'asseoir dans un transport en commun ou sur le siège d'un cinéma, se voir refuser une consultation médicale voire une PMA tant qu'on n'a pas perdu de poids, sentir les regards négatifs dans la rue et être soupçonné.es de ne pas faire assez d'exercices ou d'avoir une mauvaise alimentation. C'est la discrimination à l'embauche ou pour faire un prêt bancaire et les moqueries des cours d'école. C'est la tyrannie de l'IMC et les rayons des magasins de vêtements qui s'arrêtent à la taille 54 dans le meilleur des cas !
En parler avec d'autres personnes qui vivent les mêmes discrimations permet de trouver ensemble des stratégies. Quand il s'agit par exemple de s'habiller, une des questions épineuses et quotidiennes des personnes grosses. Pour éviter le manque de choix et les tarifs prohibitifs, elles partagent leurs bons plans : acheter sur internet, trouver des marques « pas forcément éthiques » mais qui proposent autre chose que des pantalons noirs et des tee-shirts blancs, apprendre à créer soi-même sa garde-robe.
Loulie voudrait que davantage de personnes comprennent que la prise de poids relève de bien des facteurs différents, parfois combinés : la génétique, certaines maladies ou traitements médicaux, les agressions sexistes et sexuelles subies dans l'enfance ou l'adolescence, des dysfonctionnements hormonaux, des traumatismes, des dépressions, la précarité, etc. On en dénombrerait plusieurs centaines ! Le tout dans une espèce de cercle vicieux, la grossophobie alimentant le mal-être qui peut favoriser la prise de poids.
Un monde idéal sans accoudoirs dans les salles de cinéma
Loulie insiste sur une idée : les gens peuvent comprendre que c'est difficile d'être plus gros.se que la « norme » mais quand on n'est pas concerné.e, comment comprendre « le vécu d'une journée, d'une semaine, d'un mois » ? Elle avoue avoir « vécu vingt ans en pensant être la seule à vivre ça ». Se retrouver dans un collectif permet de se sentir moins seule car le poids peut aussi être facteur d'isolement quand tous les actes de la vie deviennent sources de difficultés.
« Je vis avec depuis que je suis née – témoigne encore Loulie – c'est un combat ; il y a des jours avec et des jours sans mais j'ai la chance d'être bien entourée, d'avoir un métier dans lequel je peux lutter contre les discriminations et j'essaie petit à petit de ne pas me faire de mal ». Avec Gros Amours, elle participe à changer les regards notamment auprès des plus jeunes. Elle sait que c'est l'éducation qui pourra faire avancer les choses « dans la tête des enfants mais aussi dans la tête des adultes ».
En lien avec d'autres associations notamment de Paris et Bruxelles, Gros Amours songe à se lancer dans des actions de plaidoyer pour faire bouger la société. C'est en Amérique du Nord où Loulie a fait un voyage de quelques mois à la création du collectif qu'elle a découvert des façons inspirantes de militer. Là-bas, des avocats étudient la possibilité de légiférer et on travaille à l'adaptation du matériel et mobilier scolaires. Aux Etats-Unis, elle s'est rapprochée de la première association mondiale, pionnières des manifestations anti-grossophobie. Au Canada, elle a rencontré Edith Bernier, une écrivaine qui tient un blog et assure des interventions dans les écoles.
Son monde idéal ? « Un monde où il n'y aurait pas d'accoudoirs ! » plaisante Loulie, qui ajoute plus sérieusement : « un monde sans IMC, où on pourrait s'habiller partout, un monde sans norme où on verrait plein de corps différents et où on s'en foutrait ! Les gens pensent que c'est la grosseur qui tue, mais en fait c'est la grossophobie qui tue les gens, c'est le stress constant de ne pas être dans les normes et de vivre avec des agressions quotidiennes qui tuent à petit feu ».
Geneviève ROY
Pour contacter le collectif Gros Amours - une adresse mail :