Dans les représentations collectives, on associe souvent les violences de genre à l'âge adulte. Pourtant, elles sont bien réelles à chaque étape de la vie. C'est de ce constat que sont partis la ville de Rennes, le département d'Ille-et-Vilaine et la région Bretagne pour proposer à Rennes le 21 novembre une journée d'étude intitulée « les violences de genre ont-elles un âge ? »
Une occasion pour faire un état des lieux plutôt alarmant de violences subies dès le plus jeune âge et qui persistent jusqu'au grand âge. Pour 2024, les chiffres montrent une augmentation importante des femmes de plus de 60 ans victimes de violences, conjugales ou autres. Souvent ces situations sont minimisées voire invisibles, masquées parfois par des états de dépendance.
L'âge peut être un facteur de vulnérabilité face aux violences, notamment pour des femmes soumises à la violence de leurs conjoints, mais aussi parfois de leurs enfants, de leurs aidants, des personnels soignants, etc. Il y a, estime Lucile Peytavin du cabinet d'expertise Psytel qui développe un dispositif européen de détection, prévention et prise en charge des violences faites aux femmes âgées dans neuf pays d'Europe dont la France, un « véritable impensé sur ce sujet ».
Pourtant, en 2024, la catégorie d'âge la plus touchée par les féminicides était bien celle des plus de 70 ans, avec 26% des cas contre 16% pour les 20/29 ans. Des politiques publiques sont développées d'un côté sur la maltraitance faite aux personnes âgées et d'un autre côté sur la lutte contre les violences, mais regrette l'experte il n'y a à aucun moment de « croisement entre âgisme et sexisme ».
Trop vieilles pour être victimes, trop vieux pour être agresseurs
Les facteurs de vulnérabilité à la violence varient au fil du temps. Avec l'âge, l'isolement notamment est un facteur à prendre en compte, les seniors étant parfois coupées du monde physiquement soit par leur habitat soit pour des raisons de santé, mais aussi éloignées des lieux d'aide ou de conseils et pour les plus vieilles peu familiarisées avec les outils numériques.
Les modes d'action aussi sont différents. Pour les personnes âgées, les principales violences sont les violences psychologiques suivies par les violences financières et les violations de droits ; les violences sexuelles et physiques étant les moins nombreuses.
Lucile Peytavin insiste sur la difficulté de repérages des violences dont les « symptômes sont parfois confondus avec des symptômes de maladie ou de vieillesse ». Elle dénonce également le manque de formation des professionnel.le.s alors que dit-elle, « le travail des aides à domicile ou des infirmières qui vont dans les maisons est absolument déterminant ».
Par ailleurs, les stéréotypes de la société jouent aussi leur rôle dans cette invisibilité des violences faites aux femmes âgées. Au-delà de 65 ans, une femme n'a plus « le profil de la victime » tandis que les auteurs (leurs conjoints âgés également) sont plutôt appréhendés comme des « papis inoffensifs » et ne correspondent pas non plus à l'idée que l'on a d'un agresseur.

Pour le meilleur et pour le pire, jusqu'au bout
L'association SOS Victimes 35 reconnaît pour sa part compter très peu de personnes de plus de 60 ans parmi les femmes accompagnées. Elles représentaient pour l'année 2024 seulement 5% du total des victimes et portaient plainte essentiellement pour des atteintes aux biens (vols avec ou sans violences).
Une sorte de résignation semble s'emparer des femmes d'un certain âge pour lesquelles les violences sont souvent installées depuis longtemps. Soumises davantage que les plus jeunes à une tradition d'union « pour le meilleur et pour le pire », elles ont du mal à se reconnaître victimes et se disent que ce n'est pas à leur âge qu'elles vont envisager une séparation ou un divorce ; elles se sentent moins légitimes à « déranger avec [leurs] histoires ».
Pour SOS Victimes 35, la lourdeur d'une procédure peut aussi parfois leur faire peur. Leur situation financière, généralement moins favorable que celle des hommes du même âge, les fait bien sûr réfléchir. « Qu'est-ce que je vais devenir si je quitte la maison ? » s'interrogent-elles.
C'est enfin la question de l'accompagnement des auteurs, eux-mêmes âgés, et de la complaisance des médias que pose Sylvaine Grevin, présidente de la Fédération Nationale des Victimes de Féminicides. L'association qui accompagne les familles touchées par ces drames, et notamment les enfants quel que soit leur âge, constate que « les familles ne sont pas formées aux mécanismes de la violence » et donc peu en mesure « de détecter une éventuelle maltraitance ».
Les enfants, démunis, prennent conscience des violences subies par leur mère à l'occasion de son décès. Des agissements de leur père également. Et, fréquemment, l'état de santé des victimes masque la vérité des violences. On peut ainsi lire ou entendre que l'auteur a tué sa conjointe « pour la libérer de ses souffrances » ; des propos que ne peut admettre Sylvaine Grevin. « On nous parle de drames de la vieillesse – s'emporte-t-elle – non, ce sont des féminicides ! »
Geneviève ROY
Photos : samedi 21 novembre 2025 à Rennes, stands associatifs à République et manifestation au départ de l'Esplanade Charles de Gaulle



