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 Comme chaque année avant la trêve estivale, Rennes 2 propose ce 4 juillet son Académie d'été du DIU « études sur le genre ». Pour la septième édition c'est le sport qui a été choisi ; avec plus spécialement une invitation à « analyser les paradoxes du sport, réputé contribuer à la santé et au bien-être, tout en pouvant être l'espace d'expression du sexisme, du racisme et de l'homophobie ».

L'occasion d'interviewer une des intervenantes, Sandy Montanola, qui travaille sur la médiatisation du sport féminin et participe à la formation des futur-e-s journalistes de l'IUT de Lannion.

Pour elle, former les étudiant-e-s à la déconstruction des stéréotypes de genre est essentiel mais ne suffit pas à donner une meilleure visibilité aux sportives.

 

Votre intervention à l'Académie d'été fait partie d'un module intitulé « Quand le sport trouble le genre » de quoi allez-vous parler ?

Mes travaux de recherche, et notamment ma thèse soutenue en 2009, portent sur la question de la médiatisation des femmes sportives de haut niveau en particulier à l'occasion des Jeux Olympiques de 1952 à 2004 mais aussi sur la médiatisation de la boxe anglaise. Cette discipline s'est ouverte tardivement aux femmes, puisqu'on l'a vue aux JO seulement en 2012 et que les premiers combats féminins de boxe professionnelle reconnus ont eu lieu en 2005. On voit vraiment une résistance très forte à ce sport qui contrevient aux représentations de ce qu'on peut considérer comme le féminin socialement acceptable. J'ai travaillé par exemple sur la médiatisation en 2005/2006 des combats de boxe de Myriam Lamarque qui était championne du monde mais aussi française. Ce sont des travaux que je poursuis toujours maintenant, et depuis 2009, j'étudie aussi les processus de médiatisation de l'affaire Caster Semenya qui soulève vraiment la question de la spécificité du sport féminin et de la difficulté de pouvoir séparer les hommes et les femmes en deux catégories. Il s'agit d'une athlète à qui la fédération internationale a demandé en 2009 un test de féminité. Il y a déjà eu beaucoup de travaux sur les tests de féminité mais, moi ce qui m'intéresse c'est de voir comment les médias traitent cette affaire.

En ce moment,on parle beaucoup de sport féminin dans l'actualité ; pensez-vous que la coupe du monde féminine de football peut changer des choses ?

Je suis une chercheuse donc je peux dire comment c'était avant mais je ne me risquerai pas à dire ce qui va se passer ! D'un point de vue statistique on parle plus du sport aujourd'hui, mais surtout on en parle différemment. On avait avant une médiatisation par équipe, avec beaucoup d'articles mixtes par discipline, par exemple si on parlait de la natation on évoquait en même temps les résultats des femmes et ceux des hommes. Dans les chiffres, l'évolution est très nette ; aujourd'hui, c'est un-e athlète, un article ! On va aller chercher des personnalités, des histoires, de l'émotion, on va rentrer dans les coulisses. Et cette évolution n'est pas forcément positive ; en ciblant une ou deux personnes, on les montre comme des exceptions.
Désormais la sélection est plus forte ; pour être médiatisé, il faut soit être un champion ou une championne dans une discipline très populaire, soit dans une discipline qui sort vraiment du commun. Et être une femme est un élément supplémentaire ; tous les critères que j'ai listés sont encore plus sélectifs. Par exemple, une femme éliminée dans n'importe quelle discipline en quart de finale ne sera pas médiatisée alors que si c'est un homme, il le sera ! On note aussi que 80 % des athlètes cité-e-s dans les articles sont Français-e-s.
Alors, est-ce que la coupe du monde de football va changer des choses ? Je ne sais pas ! Ce qui est sûr c'est que cette médiatisation permet de traiter le sujet ! En tout cas d'aborder la question des inégalités. Et, ce faisant, ça montre aussi à quel point on est loin d'une égalité, je ne parle pas d'égalité de salaires, je parle d'égalité de traitement médiatique puisqu'en fait à chaque fois qu'il y a une nouvelle compétition féminine l'accent est porté sur le fait que c'est une compétition féminine et on ne sort pas de ce fonctionnement.
C'est plus intéressant de regarder les audiences car c'était un des arguments historiquement utilisé pour dire que ça n'intéressait pas le public. Et s'il n'y a pas beaucoup de gens qui regardent, il y a moins de sponsors. Est-ce que ça va changer des choses ? Oui, parce qu'on pourra s'appuyer sur des éléments qui sont ceux de l'audience mais je pense aussi que s'appuyer sur ce type d'arguments ça peut être assez dangereux parce que ça voudrait dire qu'il y aurait une égalité mais sous condition d'avoir suffisamment de personnes et donc d'un intérêt marchand, alors qu'en fait l'égalité devrait se faire sans qu'il y ait cet intérêt ou pas ! Même si là en l'occurrence cet argument peut servir le discours du sport féminin, je pense qu'il peut aussi être problématique parce qu'on pourrait imaginer qu'un moment il y aurait moins d'audience et pour autant ça ne justifierait pas de moins en parler !

Bien sûr, il faut parler du sport féminin mais tout dépend de la façon dont on le fait. Parfois, aussi, on en parle mal. Vous qui contribuez à la formation des futur-e-s journalistes que leur dites-vous sur ces questions ?

C'est en effet quelque chose que l'on prend en compte dans les enseignements. Nous avons beaucoup d'heures de cours sur les stéréotypes et leur déconstruction, sur la façon dont se construisent les représentations sociales, les normes, etc. Hélas, il faut aussi être conscients qu'on pourra toujours former les gens, la réalité est beaucoup plus complexe que ça ! Quand nos étudiant-e-s arrivent sur le terrain en tant que journalistes ils se heurtent à d'autres types de discours notamment celui des sponsors.
Pour vendre du sport féminin, on va généralement sur ce qui semble le plus féminin, en particulier s'il s'agit de sports qu'on considère comme pas assez féminins, le rugby ou la boxe par exemple. Donc, les sponsors utilisent des éléments très stéréotypés et c'est difficile pour les journalistes de s'en extraire. Il faut donc les préparer aux représentations sociales mais aussi aux difficultés de cet éco-système où les sponsors attendent un retour sur un produit dans lequel ils investissent.
Ça peut être très compliqué dans une carrière et les étudiant-e-s en sont conscient-e-s. Il est très compliqué actuellement de tenir un discours critique sur le sport notamment à la télévision parce que économiquement parlant, il faut rentabiliser les événements. Les journalistes subissent donc des contraintes assez fortes.
Par ailleurs, on voit qu'aujourd'hui, les entreprises médiatiques essaient de se diversifier et principalement avec des partenariats. Or, quand on est partenaire d'un événement sportif ou culturel, l'autocensure va être plus forte et l'indépendance va diminuer. Il ne s'agit pas de chercher une justification à certaines pratiques, mais si on veut faire changer les choses, je pense qu'il ne suffit pas de mettre des cours sur les stéréotypes dans les formations. Il faut aussi prendre en compte la complexité du milieu de travail, la précarité, l'employabilité parce que avant tout il s'agit d'un travail. Et d'un milieu très précaire. Je pense qu'il ne suffit pas de les former mais que la complexité de l'éco-système est plus intéressante à montrer aux étudiant-e-s.

Propos recueillis par Geneviève ROY