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Dans l'agenda chargé de Sandrine Agricole, difficile de trouver un créneau ! Pour la rencontrer, il faut la surprendre en fin d'entraînement.

Mardi soir, 21 heures, il fait déjà nuit sur le terrain de Beaulieu ; les filles de l'équipe du Stade Rennais Rugby ramassent leurs sacs de sport sur la pelouse et se dirigent vers les vestiaires.

Leur nouvelle entraîneure, ex-joueuse du SRR, pendant plus de dix ans en équipe de France, avoue entre deux souvenirs, que les matches commencent à lui manquer.

Mais le rugby, et sa maman, lui ont appris à toujours rebondir !

 

 Le rugby est arrivé dans la vie de Sandrine Agricole sans qu'elle s'y attende. Elle appelle ça un « coup de foudre ». L'histoire se passe à Noisy-le-Grand, en région parisienne. Sandrine a onze ans et son professeur d'EPS choisit de faire découvrir aux filles ce sport jusque-là réservé aux garçons. « C'était en 1991 – se souvient Sandrine – j'ai trouvé le sport dans lequel je m'épanouissais et je ne l'ai plus jamais lâché ! »

A cette époque-là, les équipes de filles existent encore peu en France et pas du tout à Noisy. Qu'importe, Sandrine s'inscrit dans une équipe de garçons et pour se sentir moins seule, elle entraîne sa sœur avec elle. « On a été choyées, chouchoutées ; ils étaient ravis d'avoir des filles ! » dit-elle dans ce sourire qui est un peu sa marque de fabrique.

Un maître-mot : la passion

Sandrine Agricole évoque sa carrière comme elle joue sur le stade. Elle est directe et spontanée. Des phrases courtes, des idées claires ; elle sait où elle va. Pendant plus de vingt ans, le rugby va conditionner toute son existence. Pas de modèles féminins, bien sûr, mais quelques joueurs dont elle s'inspire comme Jonny Wilkinson et surtout Frédéric Michalak : « on est à peu près de la même génération, on a grandi ensemble ; on a eu la chance de se côtoyer à l'entraînement à Marcoussis. »

sandrine2La conciliation du sport de haut niveau, des études et de la vie personnelle, un exercice difficile ? Non quand c'est une passion. « C'est facile - résume l'athlète – parce qu'on aime ce qu'on fait. C'est une organisation de titan, ça prend beaucoup de temps mais on s'arrange pour avoir un emploi du temps qui colle. »

Durant ses études de kiné, à Rennes, elle s'entraînait entre quinze et dix-huit heures par semaine, mais dit-elle « quand on a un objectif en tête qui pour moi était la coupe du monde, on ne pense pas à tout ça. On le fait parce qu'on a envie de vivre ces choses-là, d'être la meilleure, de démontrer que ce qu'on fait a du sens ! »

Depuis quelques mois, Sandrine Agricole s'est retirée des compétitions. Ses derniers matches importants, elle les a joués en coupe du monde, l'été dernier. Une aventure qu'elle se remémore avec enthousiasme. « Ça a été un super événement à vivre parce que la fédération française de rugby a mis les moyens pour qu'on ait enfin la reconnaissance qu'on doit avoir. » Et, ce n'est pas négligeable, la télévision a largement retransmis les matches. Une médiatisation à laquelle les filles ne sont pas habituées.

 

« On donnait une bonne image,
pas une image esthétique,
mais une image sportive »

 

Si on s'interroge sur ce stade de Marcoussis, lieu d'ordinaire réservé aux entraînements, Sandrine, elle, n'a pas d'état d'âme. « La taille du stade n'est pas importante – s'exclame-t-elle – dans une compétition comme celle-là, le plus important, c'est de gagner des matches et de donner une belle image du rugby féminin et pas parce qu'il y a des blondes, des brunes, des minces ou des filles aux yeux bleus ! Mais vraiment parce qu'on produit un beau jeu attrayant et efficace. Et c'est ce qui a plu au public. Au début, je pense que les gens ont regardé un peu par curiosité, mais au fur et à mesure des matches les audiences ont augmenté. Les gens ont aimé parce qu'on donnait une bonne image, pas une image esthétique mais une image sportive ! »

Effet coupe du monde ou non, en tout cas, Sandrine constate que le rugby féminin a gagné en popularité et que cette nouvelle saison s'annonce plus féminine encore à Rennes et ailleurs. « On est entre quatorze et quinze mille licenciées dans toute la France toutes catégories confondues – explique-t-elle – Au club, cette année, on a une trentaine de jeunes de moins de dix-huit ans alors que l'année dernière on en avait entre quinze et vingt ! Il y a une évolution des mentalités et c'est bien pour nous ! »

Et soudain, le manque

Sa passion, Sandrine continue aujourd'hui à la vivre en qualité d'entraîneure de l'équipe féminine du Stade Rennais. Une nouvelle étape dans sa carrière de sportive de haut niveau pas forcément facile à négocier. « Le premier mois, on se dit : c'est cool, je n'ai plus à m'entraîner ; je peux reprendre une vie normale ! » analyse Sandrine. « En fait – ajoute-t-elle avec comme un regret dans la voix – depuis hier, ça me manque ! Je ressens le manque d'aller au contact, de sentir la pelouse, de toucher un ballon, d'avoir cette sensation de voler quand on traverse un intervalle. » Pour se ressaisir immédiatement : « c'est une petite tristesse, mais c'est un choix. Et je transfère ce manque dans toute l'énergie que je donne comme entraîneure. »

sandrine3C'est une battante, Sandrine. Le rugby et sa maman lui ont appris depuis longtemps à se remettre debout quoiqu'il arrive. « Même si c'est difficile, même si on tombe, il faut se relever – dit-elle – Ma mère m'a toujours dit : fais comme les ballons de rugby, rebondis ! » Contrairement au ballon de foot, le ballon ovale ne rebondit jamais comme on l'imagine, reconnaît la championne, mais « il rebondit et va toujours d'un espace à un autre. »

 

« Quand je vois les footballeurs
qui a dix-huit ans gagnent des millions,
je préfère ma vie à moi ! »

 

Pour Sandrine, depuis dix ans, la Bretagne est devenue « son » espace. « Je suis ici chez moi » dit-elle sobrement ; et pas question de repartir vers d'autres horizons. Elle vient de rejoindre un cabinet libéral avec son tout frais diplôme de kiné et a adopté définitivement la ville de Rennes. « C'est une ville qui va à mon rythme ; il peut y avoir plein de mouvement, puis après ça se calme. C'est ma vie ; je m'y sens bien. » Et son nouveau métier lui apporte d'autres satisfactions. « On a une grande responsabilité – dit-elle – on a la santé des patients entre les mains et ça demande de l'écoute, de la patience. On est moins centré sur soi, sur cette volonté de progresser, mais on est tourné vers l'autre. »

Si Sandrine Agricole a assuré sa propre reconversion, elle s'intéresse toujours à l'avenir du rugby féminin en France. C'est avec plaisir qu'elle constate que les femmes y prennent de plus en plus leur place. « Il manque juste un petit peu plus de reconnaissance de la part des médias et des sponsors – estime-t-elle – Les filles de l'équipe de France sont toutes issues de clubs et si personne ne vient aider ces clubs, il sera difficile d'atteindre de très hauts niveaux de compétition par manque de temps d'entraînement notamment. »

L'avenir passerait-il alors par la professionnalisation des joueuses ? Pas nécessairement. « Ce n'est pas l'objectif qu'on cherche – dit l'ex-joueuse – on aime bien cette dualité entre le haut niveau et une vie un peu normale ; ça permet de garder un équilibre. Quand je vois les footballeurs qui a dix-huit ans gagnent des millions d'euros et qui sont dépassés par tout ce qui leur arrive, je préfère avoir ma vie à moi. Parfois, je dois peut-être me serrer un peu la ceinture mais je suis libre et bien dans ma tête ! »

Geneviève ROY

photos : Stade Rennais

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