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Voilà à peine deux ans, elle poussait la porte du CGLBT de Rennes. Mal dans sa peau, proche de la dépression malgré le soutien de sa famille et de ses ami-e-s, elle était en plein questionnement sur son identité.

Aujourd'hui, Selene Tonon est une jeune femme qui s'assume pleinement et affirme sans hésitation : « je sais qui je suis ».

Elle est devenue vice-présidente du CGLBT et estime avoir eu « beaucoup de chance ». Elle veut être visible pour aider les personnes transgenres victimes de violences et de discrimination.

Elle entend aussi défendre leurs droits et notamment le premier d'entre eux : le droit au changement d'état civil.

 

« J'ai de la chance, je suis blanche ! » Selene Tonon ne manque pas d'humour. On devine pourtant beaucoup de souffrances dans son parcours semé « d'années de réflexion, de combat intérieur, de larmes aussi... » même si la jeune femme insiste sur le soutien qu'elle a toujours reçu de ses proches. Mais pour les femmes transgenres, la violence fait hélas un peu partie de la vie. « Il y a une couche qui vient au-dessus – dit-elle de façon imagée – ce n'est ni tout à fait de la misogynie, ni tout à fait de la transphobie, c'est quelque chose d'inédit. Si une femme transgenre est très féminine, on va lui dire qu'elle en fait trop ; si elle l'est moins, on va la considérer comme un mec ! La seule bonne femme transgenre dans notre société est morte ! »

Des propos violents qui résument bien la façon dont sont traitées aujourd'hui ces femmes-là. « Dans tous les cas, on se fait critiquer – dit encore Selene – je n'ai jamais été autant qualifiée d'homme que depuis que j'ai fait ma transition. » Si elle voulait faire une échelle dans la hiérarchie sociale des genres, Selene dirait qu'être « une femme transgenre c'est non seulement être moins qu'un mec, mais c'est aussi être moins qu'une femme. »

« C'est avec sérénité que j'affronte la haine et l'hostilité »

Pourtant, Selene veut continuer à se présenter comme une femme transgenre et non pas simplement comme une femme. « C'est un enjeu de visibilité, de représentation, aussi » estime-t-elle. Dans une société hostile qui nourrit vis-à-vis des personnes transgenres « au mieux une curiosité malsaine au pire l'envie de les tabasser dans la rue » Selene se veut comme un point de repère. Parce qu'un jour elle a croisé une femme transgenre à l'aise dans l'espace public et que ce jour-là, elle qui se « cachait de tout le monde » a été « vachement jalouse ! »

Selene2Une expérience qu'elle vit à l'envers aujourd'hui lorsqu'on vient lui dire « c'est bien que tu sois là ; moi, je n'oserais pas ». « Je sers à quelque chose dans mon intervention publique – en déduit-elle – alors je continue ». Même si cette visibilité occasionne régulièrement des réactions violentes.

« Comme je suis visible, des personnes haineuses cherchent à me détruire, notamment sur Internet » dit Selene qui les écarte avec conviction. « On ne pourra pas me détruire, je sais suffisamment bien qui je suis – avoue-t-elle – j'ai passé un temps considérable à faire de l'introspection, on ne pourra plus me faire douter. C'est avec sérénité que j'affronte la haine et l'hostilité. C'est mon carburant ! »

« Etre désignée au féminin, c'était déjà le bonheur »

Une force qu'il lui a fallu acquérir. « En juin 2014, quand je suis arrivée au CGLBT - se souvient-elle – j'étais en jean et en tee-shirt, je n'avais pas pris d'hormones et je ressemblais quand même vachement à un garçon d'après les critères de la société ; mais j'étais mal dans ma peau et je pleurais souvent. » Grâce à l'accueil de l'association, sa vie a changé. « Etre désigné au féminin, c'était déjà le bonheur ! » dit-elle. Comme savoir qu'on a « le droit de se tromper » et qu'on ne « sera pas jugé sur un retour en arrière. »

Alors progressivement, elle franchit les étapes. « Je me changeais en arrivant ; je mettais une jupe et je me maquillais au local parce que j'avais peur d'affronter la rue ; puis j'ai commencé à m'habiller chez moi mais je portais un vêtement ample par-dessus que j'enlevais ici ; puis j'y suis allée cash parce que je n'avais plus peur de rien ni de personne ! »

En quelques mois, le CGLBT était devenu dit Selene « un havre de paix qui me permettait d'être enfin moi-même ». Un réconfort qu'elle souhaite aujourd'hui transmettre. « Je suis là – dit-elle – parce qu'on m'a permis d'être là ; maintenant, j'essaie de permettre à d'autres d'être là aussi. »

« On est passé du "bonjour" un peu gêné au "bonjour madame" »

« A partir de quand les gens nous prennent vraiment pour ce qu'on est ? » s'interroge Selene. Une coupe de cheveux différente, les traits du visage qui deviennent plus fins, les vêtements qui changent ? Toutes ces étapes, elle les a vécu comme autant de frontières à franchir. « A partir du moment où j'ai porté un soutien-gorge, on est passé du « bonjour » un peu gêné au « bonjour madame » s'amuse Selene qui reconnaît que depuis longtemps déjà on l'appelait « madame » au téléphone.

Selene3Pour elle, la difficulté aujourd'hui c'est lorsqu'elle doit présenter ses papiers. « Quand j'arrive dans un endroit on s'adresse à moi correctement ; on ne me demande pas quels sont mes organes génitaux ... jusqu'au moment où on me demande ma carte d'identité. La plupart des violences que je subies – mis à part Internet - sont des violences administratives parce qu'il existe un document attestant que je serais un homme et que les gens s'en servent systématiquement pour invalider qui je suis. »

Comme toutes les personnes transgenres de France, elle souhaite que l'Etat lui permette d'accéder à un changement d'état civil libre et gratuit. Selene n'a pas entamé de démarches - « trop longues, trop coûteuses, trop humiliantes » - elle attend la loi aujourd'hui en préparation.

« On a trente ans de retard sur les homos »

Selene garde espoir parce que dit-elle « les choses avancent » et que la visibilité depuis quelques années est accrue. Le cinéma, les séries TV, les jeux vidéos (dont elle est fan) font déjà avancer la représentation des personnes transgenres avec des personnages, encore trop souvent secondaires, mais qui ont le mérite d'exister de plus en plus. Des actrices, des réalisatrices transgenres commencent à être connues et reconnues. Dans dix ou quinze ans, Selene pense qu'il y aura « une nouvelle génération d'artistes transgenres ». Et elle s'en réjouit. Comme elle se réjouit de constater dans la population reçue au CGLBT les écarts entre les personnes de soixante ans « obligées à des compromis intenables » et des jeunes de dix-huit ans « très clairs dans leur tête qui savent parfaitement qui ils sont ».

« On a trente ans de retard sur les homos – estime-t-elle encore – Aujourd'hui, l'homophobie existe toujours mais les gens savent que ce n'est pas bien. La transphobie, ça leur semble normal. Si on se calque sur l'homosexualité, dans trente ans, on se fera toujours tabasser dans la rue, mais il y aura des gens pour s'insurger ! »

Difficile de savoir combien de personnes sont actuellement concernées par la transidentité. Selene pense que les chiffres sont largement sous-évalués et « ça fait peur – dit-elle - parce que c'est énormément de gens en souffrance. » De nombreux suicides aussi. « C'est un choix difficile de s'assumer - reconnaît-elle – quand on est réaliste vis-à-vis de la souffrance engendrée et de la violence de la société, on reste à pleurer dans son lit. Mais prendre ma vie en main m'apporte une sérénité, un bonheur, une assurance que je n'aurais jamais pu vivre autrement ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :
Le CGLBT de Rennes fête cette année ses quinze ans et prépare une célébration festive pour le mois de novembre 2016. En attendant, l'apéro de rentrée se déroulera au local, rue de Lorraine, le mercredi 28 septembre à partir de 19h et les différents ateliers reprennent. Les 28 et 29 septembre des bénévoles seront présents au festival Tam-Tam organisé par le CRIJ. Pour en savoir : consulter le site du CGLBT ou sa page facebook.