L'histoire de l'AIVI, c'est d'abord l'histoire personnelle d'une femme qui en tapant le mot « inceste » sur Internet ne trouve que des réponses d'une rare violence. Tous les sites vers lesquels on la renvoie sont des sites pornographiques ! Choquée, elle décide de fonder sa propre association. Et est très rapidement rejointe par d'autres victimes.
Aujourd'hui, AIVI - Association Internationale des Victimes de l'Inceste - est présente dans plusieurs grandes villes de France et milite pour une reconnaissance de l'inceste dans le Code Pénal.
Une fois par mois, Nelly Drieu , l'une des bénévoles de l'association, vient à Rennes animer un groupe de parole, parce que dit-elle « les gens ont besoin de parler, de raconter pour se libérer ».
Selon les résultats d'un sondage IPSOS de 2009 réalisé pour l'association AIVI, 5% des Français, soit deux millions de personnes, auraient été victimes d'inceste. On sait par ailleurs que 90% des victimes ne portent pas plainte et que 80% des plaintes sont classées sans suite. D'ailleurs, à ce jour, l'inceste n'est toujours pas nommé dans le Code Pénal.
« L'inceste reste quelque chose dont on ne parle pas, un tabou » dit Nelly Drieu qui sait de quoi elle parle pour avoir été victime elle-même puis des années plus tard, pour avoir accompagné sa propre fille. Elle milite au sein de l'association AIVI qui attend avec anxiété le retour de l'inceste dans le Code Pénal. « Jusqu'à la Révolution, l'inceste était puni – explique-t-elle – il doit à nouveau être inscrit au COde Pénal. AIVI se bat pour ça et voudrait que la prescription soit totalement abolie. Elle est actuellement de vingt ans après la majorité ; ce n'est pas suffisant. »
« Le jour où je me suis souvenu,
j'ai compris tout le reste »
AIVI demande également que les professionnel-les soient formé-e-s et que de la prévention soit faite notamment dans les écoles. Selon Nelly Drieu, ce sont les parents les plus réticents à voir aborder cette question en classe. « Ils mettent leur véto – dit-elle – parce qu'ils pensent que ça ne peut pas arriver chez eux ! »
Difficile en effet de parler d'inceste sans risquer l'éclatement familial. « Pour les victimes, c'est souvent la double peine – explique Nelly Drieu – après l'inceste, on les accuse de mentir ! » Un rejet à la fois de la société et des familles qui pousserait nombre de victimes à enfouir ce qui leur est arrivé au point parfois de ne jamais s'en souvenir vraiment. Nelly Drieu parle de cette femme de soixante-huit ans qui se souvenait depuis deux ans seulement. Un déni qui lorsque les victimes arrivent à le dépasser peut expliquer de nombreuses souffrances. « Le jour où je me suis souvenue, j'ai compris tout le reste » dit sobrement Nelly Drieu évoquant ce mal être qui poursuit les victimes toute leur vie. Mais, dit elle encore, mettre des mots sur l'inceste, c'est la plupart du temps « trop dur ! »
« Je suis encore debout
mais pour combien
qui se sont suicidées ? »
L'association AIVI se veut une association militante ; elle propose aux victimes un accompagnement pour leur permettre d'être reconnues comme victimes et de pouvoir en parler librement entre personnes concernées. Elle ne revendique aucun but thérapeutique et se veut simplement un lieu de parole. « Les gens discutent, échangent des informations et surtout sont écoutés ; les victimes ne sont plus seules et cessent de penser qu'elles sont peut-être cinglées – explique l'animatrice – mais il faut que chacun-e s'en sorte seul-e. On ne veut pas les assister. »
Si ce sont surtout des femmes qui fréquentent les réunions mensuelles, les hommes, eux, sont nombreux sur le forum en ligne, un outil plus discret pour trouver de l'aide. « On s'en sort parce qu'on va mieux – dit encore Nelly Drieu – mais on n'en guérit pas. C'est quelque chose qui reste inscrit dans la chair ! » Elle-même se présente comme « une survivante ». « Je suis encore debout – dit-elle – mais pour combien qui se sont suicidées ? »
Toutes les conséquences de l'inceste seraient longues à énumérer. On estime que près de 90% des victimes ont des pensées suicidaires contre 14% pour le reste de la population. Beaucoup développent des cancers, des fibromyalgies, des troubles bipolaires. La plupart ont des problèmes relationnels dans leur famille. L'inceste conduit fréquemment à des conduites à risques (drogue, alcool, violences de toutes sortes) et bien sûr à la prostitution.
« La naissance d'un enfant
ouvre les blessures
et ramène la peur »
Le passage par la case Justice est une étape importante dans la reconstruction de la victime, or, les statistiques le disent : il faut en moyenne seize ans pour accepter de porter plainte contre son ou ses agresseur-s. C'est souvent quand on devient parent à son tour que se fait le déclic. « La naissance d'un enfant ouvre des blessures et ramène la peur » analyse Nelly Drieu évoquant ses mères victimes qui deviennent alors sur-protectrices pour leurs enfants.
AIVI souhaite une meilleure formation des professionnel-les qu'il s'agisse des médecins qui ignorent souvent que les victimes d'incestes ont droit à des remboursements à 100% ou des personnels de police et de justice. Nelly Drieu rêve de maisons d'accueil pluridisciplinaires comme au Canada où il suffit de pousser une seule porte pour déposer plainte et aussitôt rencontrer médecins, psychologues et autres avocats. Elle se souvient de l'épreuve du dépôt de plainte lorsqu'elle a accompagné sa fille. « C'est horrible – dit-elle – on a l'impression d'être jugées ! »
AIVI soutient la prévention mais aussi le dépistage chez l'enfant et insiste sur les signes qui devraient alerter l'entourage : un changement de comportement, un renfermement brutal, une déconnexion du milieu scolaire. « On manque cruellement de moyens » regrette Nelly Drieu qui se félicite que son association permette à une partie des victimes d'aller mieux. « Une dame nous a envoyé son témoignage pour nous dire que notre groupe de parole lui avait permis de faire un enfant ; j'ai trouvé ça magnifique ! » se réjouit-elle.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
Une vidéo choc réalisée par des militantes : ici
Concernant l'association AIVI :
AIVI est présente en France à Paris, Lille, Rennes, Strasbourg, Marseille, Toulouse et Lyon et envisage l'année prochaine l'ouverture d'antennes à Nantes et Bordeaux. Un financement participatif a été lancé pour soutenir ces fondations.
Les groupes de parole se réunissent à Rennes chaque premier samedi du mois. Tous les renseignements se trouvent sur le site.
AIVI publie des recueils de témoignages et des guides d'informations pratiques.