Quand on lui demande de se présenter, la première chose qui lui vient à l'esprit, c'est : « j'ai un chat ! » Une façon sans doute de cacher par une pirouette une certaine difficulté à parler d'elle.
Marie Lemarchand, fondatrice à Rennes de l'Imprimerie Nocturne, est beaucoup plus à l'aise pour parler de son travail à multiples facettes et de l'art sous toutes ses formes qui fait vibrer son existence depuis de nombreuses années.
Féministe et écologiste engagée, elle a su fédérer autour d'elle une belle équipe (largement féminine) pour faire vivre l'aventure peu ordinaire d'un site culturel devenu revue papier.
Née à Saint-Malo, Marie Lemarchand « connaî(t) bien la Bretagne ». Elle y passait toutes ses vacances étant enfant. En effet, c'est loin des côtes bretonnes, du côté de la Dordogne, qu'elle a grandi avant de revenir s'installer à Rennes il y a huit ans.
Passionnée par toutes les formes d'expression, elle pratique la musique dès le plus jeune âge. Après un bac littéraire option histoire de l'art, la voilà sur les bancs d'une fac de lettres modernes, « un peu par défaut et sans grand succès » analyse-t-elle aujourd'hui. Sans aller plus loin, elle commence à travailler. Les petits boulots, elle connaît ; elle enchaîne les postes en télémarketing, office de tourisme, restauration, mais aussi des animations d'ateliers d'écriture ou des mises en page pour des maisons d'édition ; et dernièrement encore le recensement pour la ville de Rennes. « Je visite Rennes et ses arrières-cours – plaisante-t-elle - je suis issue du CDD à temps partiel et de l'emploi précaire. C'est un choix que j'ai fait il y a quelques années. Pour moi, la passion passe avant tout le reste, et donc, avant l'argent ! »
Une Imprimerie pas comme les autres
Côté passion, justement, Marie est aussi à choix multiple : musique, écriture, photo... A son arrivée à Rennes, elle signe déjà des chroniques musicales pour un site internet. Retrouvant « par hasard » des ami-e-s du sud-ouest dans la capitale bretonne elle est invitée à un vernissage d'exposition et sa rencontre avec des artistes l'interroge : pourquoi ne pas faire leurs portraits ?
Parce qu'elle a « envie de bidouiller un peu sur internet », elle crée son propre mode d'expression en ligne : l'Imprimerie Nocturne. Imprimerie parce que ça évoque pour elle « le fait d'écrire mais aussi de donner ses impressions sur quelque chose » et tant pis si on lui demande régulièrement des devis pour des impressions de flyers ; et nocturne, évidemment, parce que les spectacles et autres concerts ont surtout lieu le soir. Et parce que c'est la nuit, aussi, qu'elle écrit.
« Je suis de nature très curieuse » ; c'est ainsi que Marie justifie les nombreuses facettes de sa créativité. « Au départ – dit-elle - c'était vraiment une passion musicale, puis j'ai eu envie de faire de la photo de scène. Je suis très branchée spectacles vivants, danse, cinéma aussi, et littérature, bandes dessinées... Je suis curieuse de beaucoup de choses même si ce que je connais le mieux, c'est la scène musicale actuelle et notamment le hip-hop. »
Sa ligne éditoriale, Marie la compose en fonction de ses envies. Elle tient à garder sur le même plan les « choses institutionnelles et les découvertes plus confidentielles, associatives ou autogérées » avec le souhait bien sûr de « valoriser la scène locale ».
Une revue soutenue par des professionnel-le-s
« Moteur principal » de l'Imprimerie Nocturne, Marie a vite été rejointe par une équipe de bénévoles passionné-e-s comme elle, des personnes, qui dit-elle « ont donné des impulsions à des moments clefs » : graphistes, photographes, dessinateurs-trices, etc. Marie les qualifie de « semi-pro » parce qu'ils et elles ont tou-te-s un pied dans le milieu professionnel et donnent largement le reste de leur temps à un projet collectif désigné par sa fondatrice comme un « mille-feuille d'équilibristes ».
Très rapidement, s'est imposée pour l'équipe l'envie de matérialiser tout le travail de création en une revue papier, sobrement intitulée la Revue. Une parution trimestrielle, avec un « gros » dossier thématique, qui s'avère assez lourde à mettre en œuvre. Il faut être partout, à toutes les étapes de fabrication : rédaction, mise en page, diffusion et vente.
La Revue est distribuée dans quelques points de vente rennais notamment les lieux de spectacles et les cafés-librairies ; elle est vendue en ligne et sur abonnement. Mais là encore, c'est toute une logistique, à laquelle se plient Marie et ses ami-e-s. « Pour être honnête, c'est pas facile – reconnaît la jeune femme – Certains numéros marchent très bien, d'autres moins. On est connus du milieu culturel mais très peu du grand public. Heureusement, il y a des professionnels qui nous suivent et des libraires qui nous accueillent. » Le désir d'indépendance à un coût ; l'équipe a fait le choix dès le début de refuser la publicité dans ses colonnes.
Une équipe de femmes (surtout) et d'hommes mais pas de pandas
Ce n'est sans doute pas une coïncidence si un tel projet a pu voir le jour et se développer à Rennes, ville au « tissu associatif et culturel local constitué de gens curieux et impliqués » ; un « terrain fertile » selon Marie Lemarchand.
« Dans l'équipe, on ne se pose pas trop la question de savoir si on est des hommes, des femmes ou des pandas » s'exclame Marie non sans humour. Si l'équipe de l'Imprimerie Nocturne est majoritairement féminine, c'est un peu le fruit du hasard. « Par contre, on inverse les codes, c'est un mec qui s'occupe de l'horoscope » s'amuse la jeune femme qui estime que « le fait d'observer ce qu'on fait individuellement en tant que photographe ou rédactrice ou illustratrice, etc, permet de s'épauler et peut-être de se donner un peu plus confiance. » Et d'ajouter : « tout naturellement, les questions féministes sont des questions qu'on suit depuis le début. »
A titre personnel, Marie se dit « militante sur le terrain » mais quand elle travaille, la place des femmes est un sujet parmi les autres. « J'ai beaucoup de prismes – dit-elle – que je réinterroge régulièrement : la question de l'écologie [le thème de la prochaine Revue à paraître en mars – ndlr] mais aussi celle de l'accès pour tous à la culture ou celle des rapports sociaux. J'essaie aussi d'employer l'écriture inclusive mais j'ai parfois du mal sur des textes longs. »
Quant aux artistes présenté-e-s dans la Revue, Marie, sans avoir vraiment fait le calcul, estime qu'ils et elles se partagent l'espace à parité. « Je suis très à l'affût quand une femme sort quelque chose notamment en hip-hop – dit-elle – et comme elles sont moins nombreuses, même si le projet me plaît moyennement, je vais quand même le garder dans ma sélection parce que j'estime que c'est important ! »
Geneviève ROY
Photos : ©Louise Quignon